Et vous, “avez-vous téléchargé l’application StopCovid ?”

GERBAULT Baptiste, PLATEAU–HOLLEVILLE Cyprien, LEPY Nicolas

“Avez-vous téléchargé l’application StopCovid ?”. Cette question, posée le jeudi 24 septembre 2020 sur France 2 par Léa Salamé au premier ministre Jean Castex, aurait pu donner lieu à un exercice de communication visant à promouvoir cet outil de lutte contre l’épidémie de Covid-19. La réponse du locataire de Matignon, négative, a symbolisé les difficultés de cette application, boudée par la population française.

Pourtant des dispositifs similaires existent un peu partout dans le monde où l’on retrouve des applications de traçage visant à endiguer la transmission du coronavirus au sein des populations. La question est alors légitime : si la solution en elle-même a été déclinée et utilisée par d’autres, pourquoi la version française a-t-elle si peu su séduire la population et manquer à ce point à ses objectifs ?

La technologie des applis anti-covid

“Stop Covid” repose sur des caractéristiques en partie similaires à ses consoeurs de par le monde. On y retrouve ainsi la principale fonctionnalité permettant le suivi des contacts des utilisateurs entre eux à partir d’une technologie sans fil (principalement la norme Bluetooth). Le déploiement de ce principe s’appuie sur les recommandations de l’article “Quantifying SARS-CoV-2 transmission suggests epidemic control with digital contact tracing”[1]. L’article a montré qu’une application traçant les utilisateurs et permettant de notifier les potentielles transmissions dans un laps de temps court, idéalement, pourrait permettre d’accélérer les mises en quarantaine des utilisateurs touchés et de limiter de façon importante les contaminations.

Cette approche exige cependant  que le dispositif de suivi soit activé par de nombreuses personnes, ainsi que la rapidité et la fiabilité du repérage et de la notification des personnes ayant eu des contacts à risque. Il est donc nécessaire pour un gouvernement souhaitant mettre en place une application de ce type de convaincre sa population que son approche est souhaitable et que celle-ci doit impérativement participer activement afin d’obtenir un gain collectif, qui reste sinon illusoire. De plus, il est crucial que les technologies mises à contribution pour ces développements soient suffisamment performantes et précises afin qu’elles détectent et avertissent les utilisateurs comme prévu.

Le choix de la technologie support du suivi des contacts est donc une question critique puisque pouvant influer sur la réussite globale de la solution. Différents protocoles de communication utilisés par les appareils mobiles sont disponibles mais comportant chacun différentes contraintes. La norme Bluetooth, solution principale choisie en raison de sa capacité à être largement distribuée et permettant une communication entre des appareils proches physiquement, présente cependant l’inconvénient d’être distribuée sous des versions différentes suivant les équipements pouvant provoquer des incompatibilités avec le système. Cette technologie est de plus relativement lente et nécessite donc un contact prolongé afin d’opérer la détection. D’autres solutions sont disponibles comme celles utilisant directement les données de localisation du réseau mais remettant fortement en question la sécurité des données personnelles des utilisateurs.

L’avertissement des utilisateurs contacts suppose que les données de contacts soient conservées, à l’aide de protocoles précis. L’enjeu est majeur. Sur une base commune, plusieurs solutions s’offrent aux Etats. Une des solutions les plus aisées à mettre en place se base sur l’utilisation d’un serveur distant collectant et attribuant les données sensibles. Cette solution présente cependant l’inconvénient de nécessiter la centralisation des données en dehors des téléphones des utilisateurs qui perdent alors le contrôle des informations les concernant. C’est pourtant cette option qui a été choisie par le gouvernement français afin de traiter et sauvegarder les contacts de manière anonymisée, alors même que d’autres solutions existent sans passer par une architecture centralisée comme celle proposée par un groupement de chercheurs provenant notamment de l’EPFL, nommée DP-3T, permettant d’éviter que le serveur n’ait accès aux données de contact au prix de calcul plus important du côté du client. C’est d’ailleurs une approche similaire qui a été sélectionnée par les géants Google et Apple pour leur système Exposure Notification. On peut penser que pour convaincre et rassurer les populations il aurait été possible de montrer patte blanche et utiliser des stratégies sans serveurs, qui n’impliquent pas de devoir prouver que les données ne sont pas potentiellement utilisées à d’autres fins que celles pour lesquelles elles sont récoltées.

Les difficultés rencontrées en france

On peut s’accorder sur le point que l’idée d’une application pour ralentir la propagation du virus était, au moins sur le papier, une bonne solution. Dans une époque où toute la société utilise régulièrement son téléphone, comment penser que ce serait un échec ?

Faut-il considérer que l’échec est avant tout affaire de communication ? La communication a été pointée du doigt[2], et il est vrai que Jean Castex a reconnu un déficit de pédagogie. Si la communication à l’égard des jeunes ou des personnes âgées n’a pas été optimale, force est de reconnaître que des efforts non négligeables ont été déployés pour le lancement de cet outil, avec une campagne publicitaire dédiée et de l’affichage dans les rues. Pour comprendre les difficultés, il faut replacer le lancement de l’application dans son contexte.

Le lancement fut mitigé. Initialement, l’application a été téléchargée par un peu plus de 2 millions personnes, soit moins de 3% de la population française[3]. Mais les soucis ne se sont pas arrêtés là. L’annonce des chiffres a pu saper la confiance en l’efficacité de l’application : en 3 mois d’utilisation, seules 93 personnes ont reçu une alerte. Nous sommes très loin des résultats escomptés. Par dessus le marché, la CNIL a révélé que l’application ne respectait pas les principes de traitement de données de la loi RGPD[4]. Pour tous lecteurs non avertis, c’est une crainte supplémentaire. Au-delà de questions de communication, l’application n’a pas su inspirer confiance et il semble que l’opinion publique a décidé de purement et simplement rejeter Stop Covid. L’épisode de la réponse de Jean Castex à Léa Salamé illustre cet échec.

Enfin, force est de constater que l’ergonomie de l’application n’était pas au rendez-vous. Tout d’abord avec l’utilisation du bluetooth. Cet outil est très énergivore pour les téléphones et une utilisation prolongée demande à l’utilisateur de nombreux rechargements de la batterie. De plus, pour certains anciens smartphones, la version technologique n’est pas compatible avec l’application. Enfin, on constate que le contenu de l’application ne retenait pas les utilisateurs. L’application a été créée dans le seul but de collecter des données et non de retenir l’attention des utilisateurs. Cette critique a été soulevée par de nombreuses personnes[5] et semble avoir été prise en compte pour la mise à jour de StopCovid.

Tous Anti-Covid en remède ?

Nous pouvons enfin nous demander comment le gouvernement peut réagir à l’échec évident de StopCovid. Il a été, dans un premier temps, imaginé des solutions pour booster l’application comme inciter les clients à installer StopCovid dans les lieux de rassemblement (comme les restaurants), annoncé par le Groupement national des indépendants de l’hôtellerie et de la restauration. D’autres projets ont été imaginés, comme un système de badges connectés[6] pour pallier à l’absence de smartphones chez de nombreuses personnes âgées. Mais cette technologie, moins démocratisée qu’une application smartphone, pose d’autres difficultés.

Les efforts se sont donc concentrés sur la correction de l’application actuelle pour la rendre plus attrayante. L’annonce a été faite via une prise de parole le 22 octobre de Jean Castex et de Cédric O, secrétaire d’Etat au numérique. L’application intègre désormais de nouvelles fonctionnalités comme le suivi de l’état de l’épidémie mis à jour quotidiennement et l’édition d’attestations. En dépit du changement de nom, en « TousAntiCovid », rien ne change concernant le fonctionnement même de l’application pour la détection des cas contacts, qui était, pourtant, comme nous l’avons vu, un des points les plus décriés dans la première version. L’interopérabilité avec les autres applications européennes n’a pas non plus été introduite.

Les premiers chiffres[7] font état d’un succès modéré, avec un passage de 3 à plus de 8 millions d’activations de l’application entre le 22 octobre et le 9 novembre 2020. On peut espérer que l’augmentation de l’utilisation impliquera une meilleure détection des cas contacts et donc un meilleur suivi de l’épidémie. Cela dit, les résultats restent insuffisants pour que le système soit réellement un outil pertinent dans la lutte contre l’épidémie.

On peut ainsi se demander si le problème lié à cette application n’est pas ailleurs. Mettre autant d’efforts dans ce dispositif ne peut remplacer un renforcement du dispositif humain pour suivre les cas contacts à la trace, ce que l’application ne pouvait pas faire. Malgré cela, nous avons fait reposer tous les espoirs sur cette application qui allait devenir le porte-drapeau de la lutte contre la propagation du virus. Mais la population n’aura pas suivi, par crainte ou manque de confiance envers le gouvernement, du moins au lancement.

De plus, la technologie était loin d’être suffisamment prête pour devenir le rempart numéro un dans la lutte. Cela aurait pu marcher, mais il fallait que toute la population suive le mouvement ce qui n’a pas été le cas. Ceci étant, à l’étranger, les problèmes sont similaires. Si on prend le cas du Royaume-Uni, qui a fait un démarrage beaucoup plus important qu’en France, avec 16 millions de téléchargement, le constat est le même : une seule alerte émise après deux semaines d’utilisation[8]. Le problème technologique semble récurrent, malgré une base d’utilisateurs plus importante, on n’arrive pas avec cette technologie a déclarer les cas. L’application ne sera finalement pas qu’une manière de se rassurer ? La promesse d’automatiser le travail humain de tracing des cas était-elle tenable ?

 [1] Luca Ferretti, Chris Wymant, Michelle Kendall, Lele Zhao, Anel Nurtay, “Quantifying SARS-CoV-2 transmission suggests epidemic control with digital contact tracing”, Science, Vol. 368, Issue 6491, 08 May 2020.

[2] Marylou Magal, “StopCovid restera l’un des gros échecs de la gestion de crise”, 8 septembre 2020, https://www.publicsenat.fr/article/politique/stopcovid-restera-l-un-des-gros-echecs-de-la-gestion-de-crise-184435

[3] Benjamin Hue, “StopCovid : le Premier ministre Jean Castex admet l’échec de l’application”, 26 août 2020, https://www.rtl.fr/actu/politique/stopcovid-le-premier-ministre-jean-castex-admet-l-echec-de-l-application-7800749612

[4] CNIL, “Application StopCovid : clôture de la mise en demeure à l’encontre du ministère des Solidarités et de la Santé”, 04 septembre 2020, https://www.cnil.fr/fr/application-stopcovid-cloture-de-la-mise-en-demeure-lencontre-du-ministere-solidarites-sante

[5] Psyhodelik, “STOP COVID – UN ÉCHEC Á LA FRANÇAISE”, 3 septembre 2020, https://www.youtube.com/watch?v=m_z5BoI8xfs 

[6] Elsa Trujillo, “Covid-19: Toujours pas d’objets ni de badges connectés pour compléter StopCovid.”, 25 août 2020, https://www.bfmtv.com/tech/covid-19-toujours-pas-d-objets-ni-de-badges-connectes-pour-completer-stop-covid_AN-202008250191.html

[7] “Chiffres-clés concernant l’épidémie de COVID19 en France”, data.gouv.fr.

[8]  Rowland Manthorpe, “Coronavirus: Contact-tracing app has only sent one alert about an outbreak in a venue”, 9 octobre 2020, https://news.sky.com/story/coronavirus-contact-tracing-app-has-only-sent-one-alert-about-an-outbreak-in-a-venue-12099651