Arthur Avot, Baptiste Perrat, Maxence Janot, Chaima Zaroual, Mehmetcihan BEAUFILS
Dès l’invention du cinéma, certains réalisateurs comme George Méliès se sont lancés dans l’adaptation cinématographique de romans ou de pièces de théâtre. Cependant, ils se sont rapidement retrouvés confrontés à une question qui est encore d’actualité : comment adapter sans altérer le message ? A passer de l’écrit à l’image, qu’est-ce qui est gagné, mais aussi perdu ? Si les moyens pour véhiculer la fiction changent du tout au tout, peut-on néanmoins conserver l’intrigue ou la structure des interrelations entre les personnages ?
En première instance, on pourrait se dire que la structure du récit devrait demeurer indifférente aux moyens employés pour la véhiculer. L’analyse au moyen de la méthode des réseaux de personnages du roman Le Labyrinthe, publié par James Dashner en 2009, adapté en film par Wes Ball en 2014, montre que les choses ne sont pas si simples. Tout d’abord, certains types de scènes sont impossibles à retranscrire, notamment les descriptions des sentiments d’un personnage. De plus, il est tentant de modifier le scénario, afin, de tenir compte des spécificités des différents publics. Comme le théorisait déjà Alex Woloch, dans son étude pionnière des personnages, les dimensions de l’intrigue, de la fabrique des personnages sont totalement enchevêtrés avec les moyens stylistiques par lesquels ces éléments sont véhiculés à travers l’œuvre[1].
Le labyrinthe présente la spécificité au sein des œuvres étudiées d’appartenir au genre des œuvres pour la jeunesse. Le roman constitue le début d’une trilogie, mettant en scène la vie sur Terre après une terrible pandémie survenue à la suite d’importantes éruptions solaires. L’organisation WICKED (World In Catastroph : Killzone Experience Department) a pour but de trouver un remède à ce virus, en réalisant des expériences sur un groupe de jeunes immunisés. A travers cette œuvre, Dashner nous fait vivre les violentes épreuves imposées à ces adolescents envoyés dans un terrible Labyrinthe.
Le Labyrinthe met ainsi en scène un groupe d’adolescents, exclusivement masculins, immunisés face au virus, forcés à vivre dans l’enceinte close du « Bloc ». Ils y sont envoyés les uns après les autres par le WICKED, par l’intermédiaire d’un monte-charge brutal, et arrivent dépourvus de souvenirs du passé. En journée, de grandes portes entourant le Bloc s’ouvrent, laissant libre accès à un Labyrinthe. Un groupe d’une dizaine de jeunes, que l’on nomme “Coureurs”, est chargé de fouiller ce fameux Labyrinthe. Toutefois, il est terriblement dangereux d’y rester la nuit, du fait de la présence de créatures aux piqûres mortelles, appelées “Griffeurs”.
Dans ce contexte hostile, les jeunes s’entraident afin de survivre suffisamment longtemps pour trouver une sortie. De ce fait, le groupe est dominant : des règles très strictes sont en place, ce qui limite grandement l’expression des individualités. La structure rappelle Les 100 de Kass Morgan, autre succès contemporain de la SF adolescente, qui aborde les mêmes thématiques d’une robinsonnade survivaliste, autour d’une tension similaire entre le groupe et l’expression des individualités.
Ainsi, à l’intérieur même du Bloc, les adolescents sont répartis de manière stricte en neuf factions, dont les activités diffèrent : culture, cuisine, construction, exploration du Labyrinthe. Chacune de ces factions est dirigée par un “Blocard” appelé Maton, et le tout est commandé par Alby et Newt. Le pouvoir décisionnel est donc confié à un petit groupe d’individus. Ici, dans son état le plus naturel, l’Homme se rallie finalement à une organisation verticale et autoritaire de la décision, opposée à l’organisation démocratique actuelle.
L’arrivée du binôme que forment les héros, Thomas et Teresa, dans le Labyrinthe constitue l’élément déclencheur de l’histoire. Ce sont les deux derniers arrivants dans le Bloc et ils occupent dès lors, une place importante dans la communauté. De plus, Thomas se singularise par sa curiosité et sa détermination, voulant à tout prix trouver une sortie au Labyrinthe, alors que cette tâche est confiée aux très respectés Coureurs. En dépit des règles, il s’introduit dans l’enceinte du Labyrinthe pour tenter de sauver le chef Alby et le coureur Minho. En effet, alors que la fermeture des portes approche – synonyme d’une mort certaine -, Minho apparaît au loin, traînant Alby, blessé. Après une nuit d’enfer passée dans le Labyrinthe à attendre la réouverture des portes, Thomas permet aux deux jeunes gens de s’en sortir vivants. Ce n’est qu’un exemple parmi d’autres du courage de Thomas, épaulé dès la seconde partie du livre par son amie Teresa.
Étant donné l’importance de l’organisation au sein du Bloc, il est clair que l’aspect politique est dominant, le récit se concentrant sur les personnages des chefs. La dimension technique occupe le reste du graphe, du fait des nombreuses tâches à exécuter. Paradoxalement, la science n’est que très peu présente, alors même que le Labyrinthe correspond en réalité à une grande expérience scientifique. La place dominante de la science ne sera révélée que lors de la dernière scène, dans laquelle les adolescents découvrent la réalité de l’expérience. L’univers présente ainsi une structure nettement hiérarchisée, où la science gouverne la politique, laquelle contrôle à son tour les tâches techniques, selon un modèle platonicien ou saint-simonien.
Cette structure est commune au roman et au film. En examinant les graphes, il est clair que la structure du réseau des personnages est globalement conservée. On retrouve ainsi, dans les deux graphes, un puissant groupe politique au centre d’une périphérie technique. De prime abord, la comparaison ne semble pas révéler de différences majeures au niveau des représentations science/technique/politique
Toutefois, à un niveau plus fin, les graphes permettent de faire apparaître des différences significatives. Ainsi, certains personnages ne jouent plus le même rôle dans le film et dans le livre. Prenons l’exemple de Gally. Dans les deux cas, il défend clairement une position conservatrice qui vise à respecter les règles et l’organisation du Bloc. Il s’agit donc de la principale figure d’opposition à Thomas, qui cherche, lui, à sortir du Labyrinthe par tous les moyens. Cependant, il est beaucoup plus présent dans le film que dans le livre, faisant même parfois office de leader.
Le rôle d’autres personnages importants comme Teresa diffère également. Alors que, dans le roman, Thomas est lié à son amie par un don de télépathie, et que l’on comprend rapidement que leur passé cache sûrement une relation plus intime qu’une simple amitié, le film ne semble pas s’attarder sur cette proximité. Outre l’absence de lien télépathique, la dimension sentimentale est en retrait. Pourquoi le réalisateur a-t-il fait ces choix ? La volonté de simplification du scénario et la difficulté à retranscrire les sentiments sont deux hypothèses possibles.
Les différences ne résident pas seulement au niveau du rôle des personnages, mais également au niveau de l’intrigue. Par exemple, alors que le Labyrinthe est véritablement insoluble dans l’œuvre originelle – la sortie est une illusion d’optique-, il existe une véritable sortie au Labyrinthe dans le film : les Blocards parviennent à ouvrir un accès sur l’extérieur du labyrinthe après avoir récupéré une pièce sur un Griffeur tué.
Ces différences soulignent donc les choix opérés par le réalisateur, au niveau de l’adaptation. Que ces choix soient influencés par sa propre lecture de l’histoire ou par des contraintes techniques propres au mode de transmission, chacun a son importance et contribue à modifier le message véhiculé par l’oeuvre.
Finalement, il est clair que l’histoire est centrée sur Thomas et Teresa, qui occupent une place très importante en dépit de leur nouveauté dans le Bloc. Ces deux personnages se caractérisent en outre par leurs transformations : originellement scientifiques pour l’organisation WICKED, ils sont ramenés à l’état de purs techniciens en arrivant dans le Bloc, où ils oublient tout et sont condamnés à agir pour survivre. Mais très vite, ils intègrent, du fait de leur courage, une dimension plus politique qui leur permet de guider le groupe et de s’échapper. Enfin, la révélation de l’expérience boucle leur trajectoire : ils réintègrent une position scientifique.
Pour autant, ce trajet à travers les autres positions sociales ne les ramène pas simplement au point de départ et a valeur de récit d’apprentissage. A la position surplombante des scientifiques manipulant les adolescents comme de simples objets d’expérience – quand bien même cette expérience s’opère au nom du bien commun – s’oppose ainsi une forme de sagesse, complète et empathique, qui a fait l’expérience du monde et des autres dans son intégralité. Pour James Dashner, la bonne science est celle qui s’insère démocratiquement dans la vie civique et technique, et s’illustre dans des valeurs d’ouverture intellectuelle, de délibération et de curiosité.
Bien que nous n’ayons pas traité les deux autres tomes de la trilogie, il est dès lors clair que cette opposition entre deux formes de sciences est l’un des enjeux clés d’un récit, dont le premier tome construit les héros. La science bornée et inaccessible de WICKED s’oppose à la science consciente et humaniste de Thomas et Teresa.
[1] Alex Woloch, The One vs the many : minor characters and the space of the protagonist in the novel, 2003.