Le premier fait marquant, à l’analyse du réseau de personnages, tient à l’importance que le récit accorde aux personnages scientifiques. Cette importance se mesure non seulement à la proportion de scientifiques au sein de l’ensemble des personnages, mais aussi à leur centralité dans le récit.
Dans Steamboy, nous suivons, en effet, l’aventure du jeune Ray Steam, fils d’Edward Steam et petit-fils de Lyoid Steam, tous deux de grands inventeurs. Un jour, Ray reçoit une mystérieuse balle de métal envoyée par son grand père, avec l’ordre de ne la remettre à personne. Ray va devoir protéger cet objet très puissant des organisations qui essaient de le voler, pour sauver Londres de la destruction. Cette balle est en fait un réservoir de gaz sous haute pression, permettant de délivrer une énergie considérable.
Durant son périple, Ray rencontre des personnages principalement scientifiques et politiques, et découvre progressivement la véritable nature de son père et de son grand-père.
Llyod Steam, le grand-père de Ray, est le premier personnage de scientifique à faire son apparition. La première scène le montre en “savant-fou”, échevelé, prêt à prendre tous les risques pour assouvir sa soif de connaissance. Mais la perception du personnage évolue. Lloyd représente alors celui qui se bat pour que tout le monde profite de la science.
Avec Lloyd, la science doit être utilisée pour améliorer leur quotidien, voir même divertir les gens. Il représente ainsi un pôle humaniste, opposé tout à la fois aux options transhumanistes et à l’exploitation capitaliste ou militariste de la science.
Le personnage du père, Edward Steam, représente le pôle opposé. Edward défend une vision transhumaniste et technophile. S’il s’agit toujours pour lui de mettre la science au service de tous, il cherche avant tout à développer les facultés physiques des hommes. Il est l’inventeur d’un bras robotisé, il commande sa machine par la pensée, il développe des armures pour les soldats, ainsi que des sortes de deltaplane, équipés de missiles, pour permettre aux soldats de voler.
La Fondation O’Hara offre une dernière représentation de la science, enrôlée par le gouvernement pour la recherche de puissance et de richesse. Ainsi, la fondation investit massivement dans la recherche et emploie les chercheurs Steam afin qu’ils développent des armes futuristes. Leur but est de les exposer lors de l’exposition universelle de Londres pour les vendre aux plus grands dirigeants du monde. Ils permettent ainsi à la science de se développer de manière exponentielle, mais sous la condition que celle-ci puisse se vendre et leur permettre de faire du profit. Ce profit passe par la création d’armes.
Si les scientifiques de la fondation n’accèdent pas à l’individualité en tant que personnages et demeurent des figures de fond interchangeables et anonymes, le récit accorde cependant une place clé à Scarlett, fille du directeur de la fondation, qui accompagne Ray dans ses aventures.
Otomo s’attache ainsi à offrir un panel de positions. Il cherche à rendre compte des raisons qui poussent à tel ou tel engagement, plutôt que de se contenter d’une opposition manichéenne.
La dynamique du récit consiste à explorer ces différentes figures de la science, au travers des personnages de Ray et de Scarlett, qui naviguent entre les grandes options que propose le film.
Ray se trouve principalement écartelé entre les deux positions que représentent son père et son grand-père. Il met du temps à comprendre le rôle de chacun, ainsi que les enjeux moraux des deux positions. Son cheminement intellectuel nous présente donc indirectement les points de vue éthiques sur ces deux positions.
Le personnage de Scarlett connaît une évolution encore plus drastique. En effet, elle appartient à la fondation et donc ne voit aucun inconvénient au fait de s’enrichir et de dominer grâce au progrès. Néanmoins, elle change d’avis lorsqu’elle est confrontée aux dégâts du progrès. En effet, elle assiste à une démonstration de machines de guerre, créées par la société de son père. A première vue,, ces “machines” sont des soldats de métal. Mais lorsque l’affrontement commence, et que les tenues de métal s’arrachent, Scarlett se rend compte que ces soldats sont en réalité des humains. En se retrouvant au milieu de ce carnage, elle s’aligne alors sur le point vue moral du grand père de Ray.
Au final, les représentations de la science se distribuent selon des couples de positions, qui ne dessinent jamais des positions totalement bonnes ou mauvaises : le militarisme contre le soin, l’autonomie de la science et son progrès contre son usage pour le profit, le développement de la science pour l’humanité ou sa confiscation pour des intérêts privés, l’utilitarisme contre le divertissement. Ainsi, seule la fondation O’Hara représente un pôle systématiquement mauvais, les autres présentant des combinaisons entre éléments positifs et négatifs, ce qui sert la complexité du propos.
Ainsi, le père de Ray est présenté de manière ambivalente. Par un côté, il place au sommet des valeurs le progrès scientifique. Il souhaite faire la démonstration au monde de ce progrès. Mais par un autre côté, il se retrouve à créer des armes de guerre. Il représente une vision que l’on pourrait dire saint-simonienne, axée sur le progrès scientifique et technique, comme source de puissance et de maîtrise de l’environnement au service d’une ’humanité libérée de ses limites naturelles. Mais ce désir de puissance se retourne contre lui, à la fois parce qu’il l’amène à s’allier avec la fondation O’Hara, qui ne cherche que son propre profit, mais aussi parce qu’elle le corrompt à titre individuel.
Symétriquement, la position du grand-père de Ray n’apparaît pas dénuée d’ambiguïté. Il adopte un point de vue selon lequel les hommes ne sont pas prêts à utiliser le progrès. S’il souhaite utiliser la science uniquement pour le bien de l’humanité, ce bon usage passe par une réduction drastique de son utilité, au profit d’inventions qui relèvent principalement de l’amusement.
La fin du film nous apprend, en effet, que le « projet secret » que le grand père préparait depuis des années était en fait la construction d’un carrousel sur la tour Steam dans le but de la rendre moins effrayante. Ce carrousel est composé majoritairement de machines à vapeur, qui placent science et technique au service de l’émerveillement.
Si cette dernière position devait être considérée comme le fin mot de l’oeuvre, on ne pourrait qu’être frappé par l’analogie entre cet usage des sciences et techniques pour leur valeur d’amusement et d’attraction et le rôle d’Otomo lui-même comme réalisateur de film d’animation, objet techno-scientifique destiné au divertissement. Cette dimension réflexive substitue, en une dernière pirouette, la réflexion esthétique sur la nature de l’oeuvre d’art au questionnement politique sur le rôle des sciences et techniques. Le genre steampunk fonctionne alors comme une sorte de “carnaval de la technique”, qui fait la part belle à la machine comme objet de satisfaction esthétique.