Thomas Duvinage, Emile Anseaume, Léa Macri
L’Homme Bicentenaire est un film sorti en 1999 réalisé par Chris Columbus et grandement inspiré du roman d’Isaac Asimov L’Homme bicentenaire (1976) ainsi que du roman co-écrit par Isaac Asimov et Robert Silverberg, The Positronic Man, en 1992 . L’oeuvre est une comédie dramatique, traitant des thèmes de l’anthropomorphisme, des droits des individus artificiels et de ce qui sépare l’homme de son alter ego artificiel. L’Homme Bicentenaire est un pari de par son mélange entre comédie et science-fiction. Ce mélange des genres est sûrement ce qui lui a coûté son échec commercial lors de sa sortie !
Au début du XXIème siècle, la famille Martin fait l’acquisition du nouveau modèle de robot ménager, le NDR-114. La première partie du film nous montre les réactions des membres de la famille à la venue du nouveau Robot, baptisé Andrew. Suite à un accident, ce dernier évolue et commence à montrer de la curiosité, de la créativité et bien plus encore. La mort du père de famille conduit notre androïde à explorer le monde, en quête de son humanité. Cette comédie-dramatique est une introduction aux limites de notre philosophie du vivant et de la machine, une réflexion sur les valeurs de l’humanité.
L’homme bicentenaire est construit sur une structure originale. Le réseau des personnages est en effet extrêmement centré sur le personnage d’Andrew. Mais si l’on retire Andrew, comme nous l’avons fait dans le graphe donné en illustration, l’espace des personnages explose en deux parties quasiment indépendantes, que seul le personnage d’Andrew reliait.
Ainsi, nous obtenons dans la partie gauche un premier réseau, qui correspond à la cellule de la famille d’accueil, qui possède elle-même un centre en la personne de Gérald Martin, le père. Ce personnage est l’élément clé de l’insertion d’Andrew dans le monde et de son humanisation. Notons que cette importance attribuée au “chef de famille” a pour corrélat la faible considération accordée aux personnages féminins, qui sont relégués aux marges du récit. Ainsi, dans une première partie, Andrew découvre sa famille et devient de plus en plus autonome en s’instruisant. Cette curiosité d’instruction lui vient de Gérald Martin qui lui fait lire de nombreux ouvrages.
À la fin de cette première partie, Andrew demande sa liberté auprès du père. Cette scène marque la transition entre les deux parties de l’histoire et du graphe. Durant cette phase de transition Andrew part chercher d’autres androïdes NDR. Suite à cette phase de recherche, qui dure environ dix ans, il trouve Galatea, qui le mène jusqu’à Ruper Burns, le scientifique de l’histoire. Dans la deuxième partie du film, Andrew se bat pour essayer d’obtenir la reconnaissance de son humanité et pour pouvoir se marier avec Portia. Il va également travailler avec Ruper Burns, fils du concepteur des robots NDR, sur des prothèses. Ces prothèses donnent à Andrew une apparence humaine. Les interactions entre ces trois personnages, Andrew, Portia et Ruper structurent la seconde moitié du graphe, sans atteindre le niveau d’intégration de la cellule familiale.
En avançant dans le film, le protagoniste commence à ressembler de plus en plus à un humain. Il apprend la créativité, la notion de liberté et de droits. Le film se termine au moment où Andrew parachève sa transition vers l’humanité en acceptant de devenir mortel. L’anthropomorphisme de sa posture, accentué par sa transformation physique dans la deuxième partie du film, nous met en condition pour “accepter son humanisation”, même si ses manières très robotiques et sa simplicité rappellent, de manière souvent humoristique, son origine robotique.
L’enjeu principal du film consiste ainsi à interroger ce qui fait notre humanité. Ce questionnement possède une dimension philosophique, mais aussi politique. La première scène dans laquelle Andrew conquiert sa liberté auprès du père est ainsi écrite comme l’affranchissement d’un esclave. Andrew propose à Gerald Martin de racheter sa liberté. Gerald accepte d’affranchir Andrew, mais il le bannit de la famille. Ce qui apparaît comme le véritable prix à payer pour sa liberté.
A partir de quand Andrew peut-il être considéré comme un être humain ? L’homme est-il cet animal raisonnable que dépeint la philosophie, ou plutôt cet être faillible, capable de sentiment et d’empathie ? Le film tranche nettement en faveur de la seconde position. Le cerveau “positronique” d’Andrew lui donne son immortalité et le catégorise comme “robot”. Andrew prend ainsi la décision d’abandonner son cerveau immortel pour devenir un être de chair, ce qui le condamne à une mort certaine. Ce choix de la mortalité est motivé par une décision sentimentale : c’est l’amour qu’Andrew éprouve pour Portia, qui est aussi la petite fille de la plus jeune soeur de sa famille d’accueil, qui le pousse à se rendre au tribunal pour demander son humanité et obtenir le droit de se marier.
Son humanité est alors reconnue : Andrew est déclaré comme le premier humain à avoir vécu 200 ans. Mais si un humain se fait modifier au point de devenir immortel, perd-t-il son humanité ? À cette question, le film semble répondre par l’affirmative, tant l’enjeu de la mortalité apparaît comme le critère déterminant pour définir l’humanité. Ce qui est assez paradoxal : si nous devenions immortel, serions-nous moins “humain” ? Nous aurions toujours nos émotions, nos faiblesses, nos forces, mais nous vivrions juste indéfiniment. L’exigence de mortalité est formulée dans le film à partir d’un impératif trivial : “nous ne pouvons pas tolérer un immortel humain, cela ferait naître trop de jalousie, trop de colère.” C’est donc un principe d’égalité devant les limites de la condition humaine qui motive la décision du juge lors du procès d’Andrew.
Ce questionnement sur ce qui fait notre humanité s’entrecroise avec la représentation du rôle des sciences, des techniques et de la politique. Le père joue manifestement un rôle de chef dans l’économie domestique de la famille. Mais c’est aussi lui qui pousse Andrew à se cultiver et à lire pour augmenter sa connaissance, ce qui sera la première étape de son humanisation. La politique est aussi représentée dans la seconde partie de l’oeuvre à travers la figure du juge et la scène clé du procès. L’affranchissement d’Andrew par le père et le procès sont ainsi deux scènes qui fonctionnent en miroir : dans la première, Andrew acquiert sa liberté, dans la seconde il se voit dénier son humanité pleine et entière, faute de partager la condition mortelle.
La technique est omniprésente durant le film. Nous avons fait le choix de coder Andrew comme un technicien. Ce choix pourrait être discuté dans la mesure où son cerveau positronique lui offre accès à un niveau de connaissance scientifique insurpassé. Néanmoins, toute la trajectoire d’Andrew le ramène à la technique. Il commence son humanisation par le travail du bois et le contact avec les outils. Ces outils vont lui permettre de créer sa société de fabrication d’horloges, ce qui va lui offrir l’accès à l’autonomie. De même, dans la seconde partie de l’oeuvre, la science d’Andrew se matérialise principalement dans des avancées techniques, pour la santé ou les prothèses. Le domaine scientifique est donc mis au second plan derrière le questionnement politique et la représentation des techniques.
Au final l’homme bicentenaire offre sous couleur de comédie une réflexion profonde sur ce qui fait l’humanité. Il rejoue en grande partie le mythe de la créature de Frankenstein, chassée par son créateur, et qui accède à l’humanité par la parole, la technique, et les sentiments. L’intelligence ne suffit pas à nous faire Homme, pas plus que la liberté. C’est donc dans l’empathie, dans la générosité, que nous devenons véritablement dignes de notre condition.