La planète des singes : le singe est-il l’homme idéal ?

Dugas Charles ; Bonzi Antoine ; Hornet Sven

Le film La planète des Singes : les origines, datant de 2011, nous offre la réinterprétation moderne d’un grand classique de la SF : la planète des singes de Pierre Boulle. Malgré des différences notables de contexte avec le roman originel, écrit en 1963, l’intrigue reste similaire et nous interroge sur l’humanité des singes… et des hommes. Par les prodiges de la motion capture, les singes étant interprétés par des acteurs humains, nous découvrons une espèce plus intelligente, plus altruiste et plus raisonnable que l’homme. Le singe qui correspondrait-il le mieux à l’homme idéal ?

Mais au-delà de cette question sur les valeurs de l’humanité, le film frappe par son actualité. Après tout, le film nous raconte une pandémie mondiale. A la suite d’une erreur scientifique, se répand un virus qui entraîne tout à la fois la fin de l’humanité et son dépassement par les singes, devenus intelligents. Les scènes de l’apocalypse qui suit la diffusion du virus reçoivent un écho inédit. Le film nous questionne sur les limites éthiques de la science.

Les Singes et les Hommes

Le réseau des personnages fait apparaître le partage des rôles entre singe et humain au niveau des personnages principaux. La société Genesys a développé deux variantes d’un médicament destiné à soigner la maladie d’Alzheimer : le virus 112 et 113, ce dernier se révélant fatal pour les humains, tout en décuplant l’intelligence des singes. Nous retrouvons au centre du réseau César, un singe intelligent, ayant bénéficié des bienfaits du virus par les gènes de sa mère, et Will, le scientifique ayant mis au point le virus et père adoptif de César.

Ce dédoublement correspond à la structure plus générale des mondes sociaux du film, qui accorde une égale attention à la société des singes et à celle des humains. Le réalisateur Rupert Wyatt choisit de renforcer les parallèles entre la population primate et la société humaine. Nous pouvons ainsi identifier des représentants techniques, scientifiques et politiques dans chaque société. Ce souhait du réalisateur est mis en évidence dans les graphes qui nous montrent bien deux parties distinctes, dont seuls César et Will assurent la liaison.

La composante scientifique repose sur ces deux mêmes personnages, accompagnés d’autres entités : les chercheurs et les singes cobayes, Franklin et Koba. L’aspect politique est représenté dans la société humaine par Jacobs, le directeur de Genesys, et, côté primate, par l’Orang-Outang Maurice, singe sage et conseiller de César. Cependant malgré leur rôle similaire, leur comportement est très différent : Maurice est décrit comme un singe bon, loyal et raisonnable, quand Jacobs se révèle un homme d’affaires sans scrupule et uniquement motivé par l’argent.

Enfin, l’aspect technique est représenté du côté des primates par l’ensemble des singes, à l’exclusion de Maurice, César et Koba, et dans la société humaine par les humains du refuge (Dodge et Roy). Si les premiers sont des figures plutôt brutales, les seconds sont encore plus violents et sans scrupules ! Ils ne ressentent aucune culpabilité à maltraiter les primates. Dodge et Roy représentent une humanité qui descend plus bas que la bête même. Le gérant du refuge est l’archétype même de la personne mauvaise et malsaine. Il accepte les pots de vins et est conscient de la maltraitance des animaux, sans pour autant la réprimer. Finalement, le réalisateur montre que ces humains sont moins intelligents que les primates, les ridiculisant ainsi quelque peu.

Quand la situation initiale du film montrait clairement le singe comme un être primitif et technique et l’homme comme acteur d’un monde scientifique et intelligent, la dynamique de l’histoire modifie ce point de vue. C’est d’ailleurs ce côté scientifique et intelligent qui causera la perte de la société humaine. En effet, dès lors que César, pur produit de la science humaine, arrive dans le refuge, la comparaison entre ce lieu et le laboratoire remet progressivement en cause la supériorité de l’homme. Le tournant du film intervient lorsque César dit « non ! » montre que César a  conquis le seul élément qui lui manquait pour égaler l’Homme : le langage. Cette scène, l’une des plus cultes de cette trilogie, est le moment de bascule vers la supériorité du singe. Celle-ci est illustrée dans la scène où les singes s’émancipent de l’humanité et où César domine une voiture de police, symbole de l’autorité humaine dépassée.

César, l’homme idéal

César, le chimpanzé protagoniste du film, ne cesse d’attirer l’attention par son caractère surprenant et si opposé à celui de la race humaine. Son comportement et ses habiletés forment un tout équilibré qui laissent penser qu’il s’agit, à première vue, de la figure de “l’homme idéal” : justice, pacifisme, altruisme, connaissance. La victoire des chimpanzés, menés par César et ses vertus, face à une race humaine rongée par l’avarice et la soif de pouvoir l’illustre parfaitement. En effet, César bénéficiant d’une grande intelligence et d’un lien très fort avec les humains et particulièrement avec son père adoptif se révèle réellement lors de sa mise en captivité, pendant laquelle il fait preuve d’une intelligence supérieure à ses congénères.

Tout d’abord, malgré le comportement de ses semblables lors de son arrivée, il prône la non-violence au sein du refuge des singes, ce qui montre qu’il souhaite former un groupe soudé pour réussir. Il crée ainsi une réelle cohésion en se positionnant comme leader. Par son intelligence et son charisme, il donne des directives et attribue des rôles à chacun. Ceci s’illustre sur le réseau sur lequel César, Maurice, le singe King Kong et Koba forment un groupe à part entière. De plus, l’altruisme est une des qualités principales de César : il tente de libérer tous ses semblables sans pour autant céder à la violence injuste et ainsi épargner les personnes innocentes. Ces qualités qui l’ont mené, lui et les autres chimpanzés à la liberté, font de lui un personnage qui cumule les fonctions politiques, techniques et scientifiques.

Le côté humain de César l’amène à ressentir un mal-être dès son enfermement dans le refuge. Il utilise sa mémoire extraordinaire, son sens de l’orientation et ses connaissances sur les effets du 112 sur les singes pour s’extraire de sa prison. Grâce au 112, il transforme un groupe de singes bagarreurs en un groupe solidaire, à l’écoute et intelligent. Au contraire des personnages purement scientifiques du film, César utilise de façon désintéressée ses connaissances et particulièrement celles que lui octroie le 112 dans le seul but rendre leur liberté à ses semblables.

Le paradoxe de la science

Le film mobilise une figure paradoxale de savant-fou. Will, ayant la volonté de sauver son père d’Alzheimer, s’avère en effet particulièrement déterminé et jusqu’au boutiste. Il ignore notamment les règles éthiques et teste le 112 directement sur son père, violant l’interdit éthique fondamental sur l’expérimentation humaine. Après le rejet de ce remède par le système immunitaire de son père, Will poursuit ses recherches et met au point le 113, virus qui s’avère mortel pour les Humains.

Le premier échec, qui peut être vu comme un avertissement de la nature, est le point de bascule du film. En effet, c’est à la suite de la création du 113 que les évènements vont dégénérer. Will possède donc tous les attributs de cette figure canonique de la science-fiction qu’est le savant-fou. Plus encore, la création d’animaux humanisés rappelle la figure du Docteur Moreau dans le roman éponyme, l’un des matrices de la figure du savant-fou. On pourrait ajouter que l’attitude de Will est mise en balance avec celle de sa petite amie, Caroline, qui représente, de son côté, une forme de science plus soucieuse du soin et de la nature, et dont Will ignore les avertissements.

Pour autant, contre toutes attentes, Will n’est pas le méchant de l’histoire. Au contraire, il s’agit d’un héros positif, que l’on suit dans ses aventures, et que son attachement à son père et à Oscar nous rend sympathique. C’est au contraire Jacobs, personnification de la cupidité, qui attend du 113 une augmentation des capacités humaines plutôt que la possibilité de soigner Alzheimer, qui endosse le mauvais rôle. De manière d’autant plus paradoxale, qu’il avait été le premier personnage à mettre en garde Will contre la transgression des règles de l’éthique médicale. Tout se passe comme si le film se refusait à condamner la recherche obstinée de la connaissance, pour faire plutôt porter le blâme sur l’enrôlement de la science dans la quête du profit.

Le contraste avec les singes est d’autant plus frappant. Ils apparaissent dans le film comme les privilégiés : ils gagnent en intelligence et voient les humains s’affaiblir. C’est que, au contraire des hommes, les singes ne cherchent pas à manipuler la science et s’en tiennent principalement à une dimension politique et technique. On peut cependant noter que, dans les opus suivants de la Planète des Singes, certains primates vont vouloir appréhender la science en s’appropriant des armes et les procédés des Hommes. Et à la manière des hommes, ils utiliseront la science de manière violente, à des fins de pouvoir et d’influence.

Une conclusion à tirer pourrait être que l’origine du mal ne réside pas tant en l’homme en soi, qu’en la soif de pouvoir qui corrompt la quête de la connaissance.  Finalement, ce film est une représentation réussie et captivante d’un monde qui se trouve déstructuré en raison de la cupidité des Hommes et de leur volonté de repousser les limites de la science. Il pousse le spectateur à se questionner sur la fragilité de la civilisation.