Transformers : popcorn et politique

FERRI Thomas ; VAN AKEN Brice ; SERVOUZE Pierig

Transformers est une série de films produite par Michael Bay. Nous étudions ici le premier volet de la saga, sorti au cinéma en 2007. La franchise raconte l’histoire d’un conflit armé entre robots extra-terrestres ramené sur Terre grâce à la découverte d’un mystérieux cube en plein arctique. Ce conflit est millénaire et oppose d’un côté les Autobots et de l’autre les Decepticons. Chaque camp cherche à s’emparer du Cube, générateur de leur existence. Les Decepticons veulent régner sur l’univers et les Autobots cherchent à les en empêcher et restaurer leur planète d’origine, ravagée par la guerre.

Nous suivons dans le film les aventures de l’adolescent américain Sam Witwicky. Il découvre ces nouvelles créatures et leurs enjeux politiques à l’échelle interplanétaire. En véritable héros de film d’action, le jeune Sam porte l’avenir de la Terre et de l’Univers sur ses épaules. S’il n’aide pas les Autobots à gagner la guerre contre les Decepticons, leur défaite sera inéluctable et les Decepticons iront conquérir l’univers.

Si Transformers est un vrai blockbuster d’action américain, dopé aux effets spéciaux, qui ne ménage pas les explosions dans un déluge visuel, le chemin politique qu’il développe est cependant plutôt sinueux, oscillant entre des polarités opposées dans la manière de représenter les interactions entre science, technique et politique.

On nous cache tout

Si technique et politique dominent le graphe, la science est surtout présente à travers les scènes qui se déroulent au quartier général du Secteur 7, un secteur des renseignements du gouvernement américain totalement secret, dont même le secrétaire d’Etat à la Défense ignore l’existence. Ici, des expériences sont menées sur le Cube. Cette entité est la source de la vie des Transformers et représente une forme de divinité pour eux. Elle est, en revanche, désacralisée pour les scientifiques du secteur 7, qui l’utilisent pour développer “micros, puces, lasers, l’aérospatial”, et autres nouvelles technologies. Tout se passe ici comme si la science relevait en réalité d’une religion – elle reçoit ses connaissances d’entités quasi-divines – mais tout en niant cette origine religieuse.

Finalement, la représentation de la science paraît particulièrement négative. Elle est associée au monde du secret et de la dissimulation. Elle est coupée de la vie humaine, froide et calculatrice, au service des intérêts de puissance. Elle ne respecte même pas la source de ses connaissances : Megatron est appelé “ENB-1”, un sigle qui désigne un objet, quand bien même les scientifiques étaient au fait de son appartenance au domaine du vivant. Ils en parlent parfois comme d’un “spécimen”. L’officier du Secteur 7 rappelle l’interdit de le nommer par son vrai nom, en s’opposant à Sam qui le considère comme un véritable individu. La science apparaît donc comme dénuée d’empathie, en décalage avec l’humanité, enrôlée dans le complot du gouvernement américain.

Gloire à la technique

La technique est majoritairement représentée par les combattants. Mais, au-delà de la fonction des personnages, le film lui-même est une démonstration technique. Les effets spéciaux mis en œuvre ont particulièrement bien vieilli, même pour les yeux d’un spectateur de 2020. Tout au long du film, le spectateur prend un grand plaisir à voir les machines se transformer et s’imbriquer. Ces scènes représentent le clou d’un grand spectacle visuel.

Mais la mécanique est encore mise en avant dans le film dans une mystique de la voiture. C’est grâce à sa voiture que Sam Witwicky, le personnage principal, passe du statut d’ado américain ayant peu de réussite auprès des filles à celui de jeune adulte, défiant le gouvernement au bras de la fille qu’il convoite depuis des années. En plus de lui faire gagner de la crédibilité devant tous ses camarades de classe, l’acquisition de sa voiture lui donne accès à des connaissances extra-terrestres et l’implique dans des conflits intergalactiques auxquels il fait face avec courage. La voiture, personnifiée et animée par les autobots, apparaît donc l’instrument de la transformation de soi, qui donne accès au savoir et à la capacité d’agir du monde adulte.

Un autre aspect glorifié de la technique dans ce film est l’aspect militaire. En effet, la notion de sacrifice glorieux au nom de la patrie est développée dès la première scène avec les soldats américains se sacrifiant pour protéger les secrets de l’État face au robot Blackout. Blindés, hélicoptères, avions de chasse sont montrés avec la même délectation que les voitures. Ces deux facettes de la technique sont réunies dans la scène de combat finale, où le héros dont on a suivi l’évolution grâce à sa voiture, prend le risque fou d’affronter Mégatron lui-même. Ce passage suit sa rencontre avec un soldat haut-gradé, dont on a vu les exploits au Qatar plus tôt dans le film, qui représente, entre famille et armée, les valeurs patriotiques.

Quel message politique ?

Pour autant, le message politique du film est singulièrement brouillé et difficile à suivre, comme s’il partait dans plusieurs directions à la fois. La célébration des valeurs patriotiques est en effet solidaire d’une défiance considérable envers le gouvernement, dans une configuration qui rappelle l’idéologie des mouvements complotistes pro-Trump à l’oeuvre actuellement aux Etats-Unis. L’Etat dissimule la vérité à ses citoyens, via des agences de renseignement si secrètes que même le Secrétaire d’Etat en ignore l’existence. Sciences et avancées technologiques sont des instruments de contrôle et de puissance sous le sceau du secret. Et pour parachever le tout : les média mentent au citoyen et couvrent ce qui aurait dû être révélé au grand jour, comme on le voit dans la scène finale.

De plus, cette ligne qui est à la fois patriotique et défiante vis-à-vis du gouvernement et du pouvoir, va de pair avec la célébration de l’intelligence des femmes. Pour un blockbuster qui célèbre la puissance d’attraction sexuelle de la voiture sportive américaine, avec un héros masculin qui obtient la fille convoitée, c’est un tournant plutôt inattendu ! Mais de fait, aussi bien Mickaela, par ses capacités techniques de réparatrice de voiture, qui prend soin du matériel que les hommes passent leur temps à abîmer, que le personnage de la hackeuse font preuve d’une intelligence et d’une capacité à résoudre les situations qui font défaut aux personnages masculins. Certes ceux-ci peuvent se montrer courageux, mais ils sont aussi particulièrement stupides et peu à même d’anticiper les conséquences de leurs actes.

Au final, tout se passe comme si le film empilait les messages les uns sur les autres, sans se préoccuper particulièrement de leur cohérence, dans un film où le plaisir visuel s’identifie à la technique et passe avant tout autre chose. Le cinéma est une machine spectaculaire.