Peut-on concevoir un web low-tech ?

HERVÉ Aubert, BERGER Romain

Hier soir, comme à mon habitude, je me suis perdu sur internet, visitant de nombreux sites webs, avec pleins d’onglets ouverts et de la musique tournant en fond sur une page Youtube. Je lisais tranquillement des articles d’actualité, puis je me suis retrouvé par hasard sur un site étrange, voire franchement laid. Ce site parlait des ‘low-tech’ (quel terme barbare) avec des images monochromatiques, très pixellisées. Durant ma lecture, j’avoue avoir été gêné par le fond, à moitié rempli de jaune. J’ai donc cherché à désactiver cet effet, et c’est là que je l’ai vue : l’icône de batterie !

J’ai d’abord pensé qu’il s’agissait de la batterie de mon ordinateur, mais la réponse était toute autre. En cliquant dessus, j’ai découvert quelque chose d’étonnant. Ce pourcentage correspondait en fait à la batterie du site, alimenté par des panneaux solaires : si la batterie est vide, alors le site est inaccessible. J’ai d’abord trouvé cela déstabilisant, même idiot, mais j’ai vite compris. Derrière ces heures perdues à flâner sur internet, il y a de l’énergie, beaucoup d’énergie. Avec ce choix de design radical, c’est comme si toute cette infrastructure était rendue visible.

L’impact du numérique

N’importe qui pourrait se reconnaître dans ce personnage. Avec plusieurs onglets ouverts, de la musique, une vidéo ou un streaming. Peut-être qu’en ce moment même, vous avez vous aussi des pages ouvertes, des chargements inutiles en cours, un stream Twitch en fond…  Mais saviez-vous l’impact considérable que cela a sur l’environnement ?

Selon le think tank The Shift Project, les objets connectés et internet représentent aujourd’hui 4% des émissions mondiales de gaz à effet de serre[1]. Selon les spécialistes, ce chiffre pourrait grimper à 7% d’ici 2025, soit l’émission du parc automobile mondial aujourd’hui. À titre de comparaison, la France entière n’est à l’origine que de 1% de ces émissions. Les vidéos en lignes produisent à elles seules 1% de ces gaz, représentant 300 millions de tonnes de C02. Aujourd’hui, l’impact d’internet sur l’environnement est plus important que l’aviation civile mondiale. Chaque heure, 8 à 10 milliards de mails sont échangés dans le monde, 180 millions de recherches Google sont effectuées. Ces chiffres sont tout simplement colossaux, et ne font que s’amplifier avec le temps.

Or, tout ce qui se trouve sur internet doit être stocké quelque part, et c’est dans ce que l’on appelle des data centers. Il en existe environ 4700 dans le monde. Ce sont des sortes d’énormes ordinateurs, fonctionnant 24h/24 consommant une énergie folle de par leur alimentation mais aussi pour leur refroidissement. Toute cette énergie thermique est perdue, et nécessite même un surplus d’énergie pour être dissipée efficacement et ne pas risquer de mettre en péril les installations.

Limiter les émissions

Ces chiffres sont assez alarmants et beaucoup de solutions voient le jour pour contrer cette croissance de la consommation d’internet. Chez nous, nous pouvons déjà réaliser de nombreux efforts pour essayer de réduire notre empreinte carbone. Par exemple, lorsque l’on est chez soi, il faut privilégier le wifi à la 4G (qui est 23 fois plus énergivore). Il faut penser à bien nettoyer ses boites mails et cloud, chaque donnée qui n’est pas stockée dans votre ordinateur se trouve forcément dans un data center, et consomme donc en continu. Lors de la consommation de multimédia, il faut privilégier les basses qualités, mais aussi le téléchargement plutôt que le streaming en direct[2].

Mais les efforts ne sont pas que logiciels, ils sont aussi (et surtout) matériels. En effet, il est bien plus responsable de garder ses appareils électroniques le plus longtemps possible plutôt que d’en changer souvent. La production de nos objets connectés utilise de nombreux métaux rares ou non, dont l’exploitation pose de vrais problèmes environnementaux (destruction de la biodiversité et d’espaces naturels en danger) comme sociaux (exploitations de populations précaires, monopoles de compagnies minières, conditions de travail déplorables…)[3].

Principes du Low-tech

D’autres solutions plus “radicales” existent, et notamment les low-techs. Le terme de low-tech s’oppose à celui d’high-tech, il s’agit de faire mieux avec moins, en remettant en avant l’aspect fonctionnel d’un objet de manière à limiter sa consommation d’énergie et/ou son empreinte environnementale, parfois au prix de son ergonomie[4]. Ce terme désigne des objets, des systèmes, des techniques, des services, qui répondent à trois grands principes : utile, accessible et durable.

Nous pouvons, par exemple, tout à fait qualifier l’ensemble carnet+crayon comme un traitement de texte low-tech ! Il s’agit de s’affranchir du diktat grandissant de l’ergonomie et de la performance à tout prix en considérant des moyens simples, sobres, pour répondre à nos besoins quotidiens.

Aujourd’hui, ce domaine s’implante dans le milieu du web, on commence à parler de “web low-tech”. Il s’agit de sites plus simples, beaucoup moins lourds et donc plus respectueux de l’environnement car moins gourmands en énergie. Ces sites sont comme allégés, ils vont à l’essentiel : moins de vidéos, moins d’animations, des images compressées, etc. Ces sites amènent pour les développeurs une nouvelle façon de penser et de voir les choses. On retrouve dans cette initiative des sites éphémères comme celui présenté en introduction.

Nous pouvons voir dans cette mouvance un besoin de se recentrer sur le contenu, plus que sur la forme. Fatalement, en lisant une page web low-tech, l’utilisateur n’aura d’autre choix que de se focaliser sur le texte, pas sur des bandeaux imagés ou des vidéos. Il en découle une moindre propension à “se perdre sur internet”, de lien en lien, abusés par les techniques de “captation de l’attention”. On accède uniquement à ce que l’on cherche, plus à ce que l’on trouve. La fonction d’usage est remise au cœur du design d’un produit. Le concept de low-tech invite réellement à avoir une réflexion sur notre usage actuel de la technologie, et à le confronter à nos besoins réels. Il faut remettre en question notre relation au numérique, c’est fondamental pour instaurer de manière pérenne une sobriété dans ce domaine.

Quelques exemples de réalisations

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De plus en plus de ces sites voient le jour. J’aimerais ici en présenter trois, qui apportent chacun leur lot de bonnes idées. Commençons avec le site du musée de Marseille : mucem.org. Ce site au design minimaliste repose sur une construction low-tech. Il comporte peu d’animation, avec une structure très simple mais claire et lisible. Le site héberge tout de même des images pour illustrer les expositions.

Pour aller plus loin, nous pouvons nous intéresser à un site créé par la société Biocoop, qui n’est aujourd’hui malheureusement plus en ligne. Nous pouvons tout de même y avoir accès via le site WayBackMachine qui permet d’accéder à certaines archives du web[6]. Ce site présente une campagne éco-responsable. Ce qui est intéressant, c’est que toutes les animations et illustrations sont faites à partir de caractères (chiffres, lettres et symboles) colorés. Des éléments donc très légers à stocker puisque ce n’est que du texte. Le rendu est très réussi. Il est dommage que ce procédé ne soit pas plus utilisé au vu du résultat.

Le dernier site s’intitule lowimpact.organicbasics.com, un site de vente de vêtements en ligne. Ce site repose sur le même principe que celui présenté en introduction. Son concept est simple : toute la structure s’adapte à la quantité d’énergie renouvelable qu’il reçoit. Par exemple, si peu d’énergie est reçue, alors les vêtements ne seront représentés que par des illustrations minimalistes. En revanche, si beaucoup d’énergie est générée, alors la boutique en ligne pourra charger les images avec une qualité qui sera fonction des ressources. Grâce à ces sites, nous pouvons constater que le web low-tech peut être très varié, que ce soit dans les designs ou les idées mises en place. Ce mouvement apporte un renouveau au designer et développeur web.

Outre l’aspect purement technique de la question et les chiffres alarmants, il faut voir ces interrogations à travers le prisme sociétal : éduquer les utilisateurs, prendre le problème à la source; mais également remettre en question les “fournisseurs” de services allant dans le sens contraire, qui en font toujours plus pour maintenir l’utilisateur dépendant. Les réseaux sociaux sont l’exemple évident, en particulier Instagram et TikTok. En effet, ces deux plateformes basent tout leur contenu sur de l’image et de la vidéo (des médias très coûteux en énergie à la transmission) et utilisent des stratégies de design comme le scroll infini et l’autoloading des médias pour maximiser le temps d’utilisation de leurs plateformes. Or, ces pratiques sont à contre-courant de ce vers quoi devraient tendre nos pratiques.

En résumé : prohiber les pratiques de ce type, repenser le design et l’expérience utilisateur vers quelque chose de moins sollicitant, éduquer les utilisateurs (surtout les jeunes, qui représentent une forte partie des plus gros consommateurs) en les confrontant aux impacts directs de leur consommation (comme avec le principe de la batterie du site) et en communiquant sur les conséquences terribles de l’abondance numérique.


[1] The Shift Project, « Déployer la sobriété numérique », 14 octobre 2020, https://theshiftproject.org/article/deployer-la-sobriete-numerique-rapport-shift/

[2] Olivier Philippot, “Étude d’impact de la lecture d’une vidéo Canal+”, 16 décembre 2020, https://greenspector.com/fr/impact-video-canal/

[3] Aurore Stephant, “La face cachée du développement durable: l’exploitation minière”, Conférence 22 octobre 2020, UTBM, https://www.youtube.com/watch?v=a_8SN3FTDfU

[4] Philippe Bihouix, L’Âge des low tech. Vers une civilisation techniquement soutenable, Seuil, 2014.

[5] https://web.archive.org/web/20160331165718/http://www.lacampagneresponsable.fr/#film