Captain America : fabriquer le héros

AUTEURS : Baptiste Nennig

Sorti en2011, le blockbuster américain Captain America first Avenger réécrit la grande histoire. L’œuvre s’inscrit dans le courant de science-fiction uchronique et «steampunk»: les réalisateurs de ce MARVEL ont mis en scène Captain America comme un soldat de la seconde guerre mondiale en ajoutant à ce passage de l’histoire des événements imaginaires. On peut aussi voir au sein de ce long-métrage plusieurs technologies surpuissantes et surréalistes, comme par exemple l’énergie infinie du tesseract – un cube de pierre cosmique – ou encore le sérum du super soldat qui rend plus fort Captain America et retire son apparence humaine au responsable nazi Johann Schmidt qui devient le «crâne rouge».

Au cœur de la seconde guerre mondiale, deux camps s’opposent, les Américains et les Allemands, au cœur d’une guerre comme on la connait, avec des affrontements musclés et riches en action. La seconde guerre mondiale entre ici dans la sphère de la science-fiction puisqu’elle devient une guerre technologique et scientifique.

Propagande ironique et univers Marvel

L’intérêt de déterrer un personnage de propagande peut être flou pour certains. En effet, quel est l’intérêt à cette époque de mettre en scène un personnage de guerre et surtout un personnage de propagande de la seconde guerre mondiale?

Le film aborde frontalement cet aspect. En effet, on voit à un moment des spectateurs regardant un film de propagande, mettant en scène Captain America. Les spectateurs que nous sommes peuvent donc s’identifier à ces personnes regardant le même film que nous. Or, les spectateurs internes du film sont montrés comme très impliqués, ils applaudissent à tout rompre le Captain et sont, suite à la projection, prêts à tout pour soutenir l’État américain. On peut donc se demander si cette représentation du spectateur simple d’esprit, facilement influençable n’est pas une volonté du réalisateur de mettre en garde le spectateur réel de garder une certaine distance avec le cinéma et de ne pas se laisser influencer par le premier film ou même personnage politique venu. Ce point de vue est d’autant plus intéressant à prendre en compte dans le contexte d’élections politiques comme celle de2016 aux Etats-Unis ou un scandale de manipulation de l’opinion public a été révélé.

En réalité, il faut sûrement faire le parallèle avec les comics MARVEL. En effet, bien que le film adopte une posture ironique pour se moquer de la propagande, l’utilité d’introduire le personnage Captain America est tout autre. Son arrivée via le film dans le monde cinématographique MARVEL permet de rendre compte de la création de la section scientifique de recherche (SSR) qui n’est autre que l’ancêtre du SHIELD, et donc de pouvoir par la suite mieux comprendre le fonctionnement des Avengers au sein du SHIELD lui-même, puisque Captain America est décrit comme le premier Avengers.

Vous n’êtes pas sans savoir que les films de l’univers MARVEL ne se regardent pas dans l’ordre de sortie de chaque opus mais dans un ordre chronologique propre au récit et donc à l’enchaînement des histoires depuis des siècles à nos jours et même dans le futur. Ce film est longtemps resté le premier à visionner et est maintenant la porte d’entrée vers l’univers MARVEL moderne (depuis la sortie de MARVEL: Les éternels en2021). De plus, il faut garder à l’esprit que l’univers MARVEL est avant tout issu des comics créés au début de la 2nd guerre mondiale, ainsi les films actuels mettent en scène des histoires et des personnages issus de ces comics.

Pour que les films gardent une certaine harmonie, et que l’on comprenne bien toutes les spécificités de certaines situations, il ne faut pas négliger les fondamentaux de l’univers, comme l’histoire de Captain America.

Par ailleurs Captain America n’est un personnage de propagande que très peu de temps sur toute la durée du film. En effet, il est d’abord un homme lambda avec des valeurs puis devient un personnage scientifique qui subit des expérimentations, ensuite seulement il devient un personnage avec un attrait politique puisqu’il sert de propagande pour récolter des fonds pour l’effort de guerre. Enfin, et pour la bonne dernière moitié du film, il devient un personnage d’action malgré qu’il reste une source de motivation pour le peuple américain. Si l’on reste donc terre à terre et que l’on néglige la courte utilisation du Captain en tant que personnage de propagande, l’intérêt du personnage Captain America est purement de servir la constitution du monde MARVEL.

La manichéisme jusqu'à la symétrie

En bon film d’action américain, Captain America répond à une structure manichéenne. En effet, les deux camps s’opposent en continu . Cette particularité est visible sur le graphe des attributs puisque l’on voit que toute la partie gauche est composée d’allemands et toute la partie droite d’américains, tout comme sur l’image d’illustration où on voit les allemands à gauche, Captain America au milieu et les Américains derrière lui à droite. Malgré cette frontière, on voit une nette équité entre les deux belligérants. En effet, si on regarde la composition des «équipes», on voit que chaque opposant possède une organisation similaire: ses personnages techniques, souvent au cœur de l’action, ses scientifiques et ses figures politiques. De plus, on voit que l’importance des personnages est liée à leur fonction. En effet, plus on s’éloigne du centre, où se concentrent les personnages techniques, et de Steve Rogers, qui n’est autre que Captain America, moins les personnages sont importants et moins les personnages sont présents sur le terrain. Pour avoir une équivalence complète dans la composition des opposants, il faut s’imaginer que Steve Rogers et Peggy Carter sont des personnages avec une dimension politique, puisqu’ils prennent des décisions, mais ont aussi une très grande importance technique, ainsi, la structure du graphe est bien plus équilibrée des deux côtés. La présence des personnages techniques au centre du graphe est due au fait que ce sont eux qui sont au cœur de l’action et ce sont eux qui sont directement en contact avec le camp adverse. En effet, ce sont toujours les soldats qui sont sur le champ de bataille, ainsi que l’illustre l’image, où les scientifiques et politiques passent à l’arrière-plan. Les savants ne prennent pas directement part aux combats: seules leurs créations ont une importance pour le déroulement du film, comme le sérum du super soldat créé par Abraham Erskine du côté américain ou les armes de nouvelle génération et les tentatives de reproduction du sérum par Arnim Zola du côté allemand.

Si tout est similaire d’un camp à l’autre, leur opposition est essentiellement politique.. En effet, les allemands œuvrent pour la domination du monde tandis que les gentils américains super forts se battent pour la paix et la souveraineté des peuples. On voit cette opposition illustrée sur l’image puisque le côté américain à droite est bien plus lumineux que le côté allemand à gauche. Forcément, les américains gagnent leur combat et encore une fois, il faut replacer l’histoire dans le contexte de sa création, au cœur de la seconde guerre mondiale, à un moment où il fallait remonter le moral des populations pour leur donner envie de participer à l’effort de guerre.

La symétrie complète des deux camps conduit cependant à des quasi-paradoxes du point de vue des figures de la science-fiction. Ainsi, la scène d’introduction est la découverte d’un ancien vaisseau aux couleurs américaines enfouis sous la glace. Généralement, la découverte glacière est de mauvaise augure, puisque c’est souvent la découverte d’un monstre des glaces ou d’une divinité chtonienne qui est mise en scène. Or, ici, le vaisseau retrouvé est une très bonne surprise pour les autorités américaines puisqu’il s’agit d’un vestige de guerre vieux de 75 ans, regorgeant de secrets, à commencer par Captain America lui-même. On peut aussi souligner le fait que les expérimentations sur les humains sont souvent réservées dans la science-fiction aux méchants. Ici, la scène de transformation du banal Steve Rogers en super-héros est réalisée par les américains et est montrée de manière très positive puisque le sérum injecté améliore les capacités physiques du patient comme ses capacités morales. Cette expérience scientifique contraste avec son homologue ratée, l’expérience sur Johann Schmidt, dirigeant Allemand, dont le visage est resté tuméfié par l’expérience. On comprend que l’expérience a raté car le sérum allemand n’était pas au point et que les valeurs morales de celui qui est devenu le crâne rouge n’étaient pas du tout adaptées au sérum. Johann Schmidt, dans un souci de domination du monde, fera également des expériences sur des humains, mais des expériences sombres et infructueuses, comme par exemple sur le meilleur ami de Steve Rogers, James Barn.

Le super-héros, un homme comme les autres

Captain America est donc le fruit de la fabrication d’un Super-Héros par des expériences scientifiques, un genre d’expérimentation humaine que l’on aurait pu croire réservée aux méchants. Ici, Steve Rogers a donc été choisi pour ses valeurs morales, puisqu’il a la volonté de servir son pays et d’aider ses camarades aux combats. Il n’exprime pas un besoin de violence ni d’agressivité constant, au contraire, il apparaît plutôt pacifique. De plus, lorsqu’il se bat, il n’est pas particulièrement fort puisqu’il se fait la plupart du temps mettre au tapis par ses adversaires mais, il n’abandonne jamais face à son rival même s’il est amoché; c’est souvent son meilleur ami qui le sort de ces situations délicates. De même, ses motifs d’affrontement sont louables, il ne se bat pas par plaisir mais pour rendre service aux gens. Par exemple, il «provoque en duel» un agresseur dans l’optique de donner une porte de sortie à la victime. Le sérum qu’on lui injecte par la suite augmente tous les sens et les traits de caractères du héros. Il est donc important d’être scrupuleux quant au choix du sujet scientifique. L’expérience scientifique en elle-même prend une distance avec les expériences inhumaines des Allemands puisque dès que Steve Rogers exprime de la détresse, les scientifiques sont prêts à mettre fin à la transformation. C’est lui qui insiste pour qu’on continue. Une fois la transformation terminée, c’est un Steve Rogers métamorphosé que l’on retrouve: le petit gringalet d’un mètre soixante et de 65 kg est devenu un apollon d’un mètre quatre-vingts dix et 85 kg de muscles. Il devient donc le soldat idéal, typique de l’industrie cinématographique américaine: beau, grand, très musclé avec une humilité, une bonté et un courage à toute épreuve.

Mieux encore, Captain America apparaît comme la personnification du soldat américain ordinaire. On le voit particulièrement bien sur les graphes où les places des soldats américains et de Steve Rogers sont interchangeables! Ce qui s’explique par le fait que Steve Rogers apparaît entouré d’autres soldats et qu’ils sont en lien avec exactement les mêmes personnes. Steve Rogers n’est donc qu’une allégorie du soldat américain, mettant sa puissance au service du bien. Ainsi, dans les années 40, les enfants pouvaient s’identifier au super héros et rapprocher leur père, leur oncle ou leur cousin partis au combat d’un super-héros.

Pour conclure, on peut donc dire que l’intérêt du héros de guerre est principalement de faire rêver les spectateurs avec une réécriture ludique de la Grande Histoire à la sauce MARVEL. Les spectateurs peuvent se rappeler leur enfance à jouer avec des petits soldats ou à jouer à la guerre avec leurs amis. L’intérêt du personnage de propagande sert en partie de mise en garde quant aux manipulations des sociétés actuelles. Mais l’intérêt de sortir un film sur un personnage créé par les Comics MARVEL il y a plus de 75 ans, est avant tout de servir l’univers cinématographique du même nom, en pleine expansion depuis une dizaine d’années. Le film permet donc de toucher plusieurs publics : le fan de l’univers MARVEL qui va le regarder pour comprendre l’histoire et pour se divertir en retrouvant des personnages qu’il connaît ou le passionné d’histoire qui prendra plaisir à l’uchronie. Le film parlera aussi au fan de film d’action qui appréciera la mise en scène orientée sur les machines, la technique et les affrontements.