AUTEURS : Samia Charit, Alexandre Pages, Ambroise Revault, Agathe Rouzier
Comment allier science-fiction et comédie ? Cela semble compliqué à envisager : comment mélanger le ridicule de la comédie au sense of wonder de la science-fiction, sans qu’il n’en ressorte abîmé. De fait, peu d’œuvres de science-fiction tentent la fusion avec le genre comique. Au mieux, elles se contentent d’introduire des éléments comiques ici ou là, à la manière des droïdes de Star Wars qui voisinent avec le sérieux sublime du planet opera. Quelle pourrait être la recette d’une œuvre comique de science-fiction ? La série Futurama, réalisée par Matt Groening le créateur des Simpson, réussit à résoudre cette équation impossible. Diffusée à partir de 1999, elle a connu pas moins de 7 saisons, soit 140 épisodes.
Le comique sert une fonction satirique : sous couvert de projection futuriste, la série s’amuse à faire une critique en règle de la société américaine des années 90. La satire est bien dosée, la série très drôle et toujours aussi agréable à regarder avec vingt ans d’écart. Nous nous intéresserons ici à la première saison. Elle met en scène Fry, un jeune adulte des années 2000, qui s’est retrouvé par erreur cryogénisé pendant 1 000 ans. Il se réveille dans une société futuriste où beaucoup de choses ont changé en apparence… mais où les travers de l’existence restent les mêmes ! Il se lie d’amitié avec un robot,Bender,, une mutante, Leela, avec qui il part à la recherche de son arrière-arrière-arrière petit neveu. Cet éloge de la coopération entre espèces, humains, machines, extraterrestres, mutants, donne le ton de la série, qui célèbre la diversité.
Le graphe ci-contre représente la liaison entre les différents personnages dans l’ensemble de la première saison. Il rend visible la structure de la narration, constituée d’épisodes largement indépendants les uns des autres. On observe, en effet, un noyau central composé des 7 personnages représentés sur l’image d’illustration. Ce noyau se maintient d’épisodes en épisodes. En revanche, les personnages en périphérie eux, ont très peu de lien entre eux, car ils appartiennent très souvent à un seul épisode de la série et disparaissent par la suite.
Dans ce noyau de 7, on observe 3 personnages principaux que sont Bender, Fry et Leela, qui représentent les trois entités : humains, robots, extra-terrestres. Cette petite bande s’entend à merveille. On peut également remarquer sur le graphe que la diversité science, technique et politique est également représentée dans le noyau central de la série. La série met ainsi en scène une bande de misfits, dans laquelle Fry le jeune humain venu tout droit de l’année 2000, présenté comme rejeté de la société à son époque, est davantage accepté. Le personnage du robot Bender fonctionne sur le même registre : il accentue les vices que possèdent les humains, c’est un personnage arrogant, égoïste et voleur mais qui reste malgré tout attachant. Les uns et les autres s’acceptent avec les qualités et leurs défauts. Chacun a sa part de vice et de bonté et les actions que l’on pourrait juger graves sont relativement bien acceptées par les personnages.
On peut également observer que presque aucune famille n’est représentée dans la série. Ce n’est qu’une bande d’amis qui évolue à l’intérieur de la série, par différence avec les Simpson, série du même réalisateur. La bande d’amis fonctionne cependant comme une véritable famille de substitution. Comme on le voit sur l’image d’illustration, tous ces personnages de genres et d’horizons différents se prennent dans les bras et font ce qui ressemble à une photo de famille.
Cette acception de la diversité contraste avec le conformisme et l’uniformité du monde représenté tout au long de la série, au niveau de la gouvernance de New New-york, des langues et des religions. La société futuriste fonctionne à la manière platonicienne : Par exemple, un métier est attribué à chaque citoyen en fonction de ses aptitudes « You gotta do what you gotta do ». Cela implique une perte de libre arbitre, qui tranche avec la manière de vivre des personnages centraux.
Cette série se veut avant tout comme une critique de la société des années 90. La série fait par exemple référence à la pollution qu’ont pu provoquer les habitants de la société des années 2000. Le monde est gouverné uniquement par les Américains, c’est donc directement une critique de ce système qui est portée, en particulier d’un mode de vie basé sur une consommation de masse. Pour ce faire, la série tourne régulièrement en ridicule des personnages faisant référence à la pop culture américaine, comme, par exemple, Pamela Anderson qui fait des apparitions récurrentes.
On note, en outre, que tous les personnages politiques de la série sont représentés comme égoïstes et totalement inaptes à leur fonction. Les présidents américains, qui ont réellement existé, sont représentés seulement par leur tête, plongée dans un aquarium, tournant en ce modèle politique.
A cette irresponsabilité des politiques dans la série, s’oppose le sens des responsabilités de nos personnages principaux, aussi imparfaits et truffés de défauts soient-ils. Malgré leur maladresse et les problèmes que celle-ci entraîne en cascade, ils ne se défaussent jamais de leurs responsabilités et finissent par résoudre les problèmes qu’ils ont parfois eux-mêmes causés. En plus de la satire et de la caricature, nous retrouvons ici un côté burlesque : les corps sont entraînés dans des mouvements incontrôlables. On peut penser au cas de Hermès, l’un des personnages de la bande, champion de limbo, une danse jamaïcaine, qu’il utilise pour se sortir de situations compliquées… ou en engendrer d’autres. Par contraste, le maire de New York dans les années 2000 a choisi de se débarrasser des déchets accumulés en les expédiant dans l’espace… lesquels reviennent en l’an 3000 sous la forme d’un astéroïde qui menace la terre ; danger dont se chargent nos héros.
Cette série utilise donc un humour particulier, qui a pour caractéristique principale d’être très incisif, et même parfois cruel. Le réalisateur allie alors avec habileté science fiction et humour pour se moquer de nos travers présents.
La science est en grande partie représentée par l’image conventionnelle du vieux savant fou à la blouse blanche. Ce personnage est le professeur Farnsworth. Malgré son rang, c’est un vieux monsieur, une des principales sources de gags de la série. Ce scientifique est à la tête d’une entreprise de livraison, Planet Express. Dans la série, il se distingue par ses inventions les plus invraisemblables les unes que les autres, qui sont réellement ingénieuses, et par son savoir, souvent fort aléatoire, du fait de ses pertes de mémoire ou encore des sources bibliographiques qui laissent à désirer. En effet, la fiabilité de ses créations n’est pas au rendez-vous. Ce que le professeur crée n’est peu ou même pas du tout contrôlé au préalable. La fiabilité, qui est un critère majeur, n’est ici pas respectée ce qui est amusant puisque la science est censée garantir le contrôle et la prédiction.
Un autre scientifique à la blouse blanche et également comique est le docteur Zoidberg, le docteur de l’équipe, qui est censé soigner l’équipage alors qu’il n’est pas lui-même un humain. Ce docteur prend la forme d’un homard à taille humaine avec des pinces géantes empêchant toute manipulation précise. Il ne possède également que de très vagues connaissances en médecine.
Dans cette série, la science occupe tout de même une place importante dans l’intrigue grâce à ces deux personnages, mais fidèle à la ligne conductrice de la série, ils sont présentés comme comiques est assez maladroits, générant des événements aléatoires qui tournent en ridicule l’idéal de prédictibilité de la science.
Futurama fonctionne en apparence comme une série d’anticipation, puisque l’intrigue se passe dans le futur. Matt Groening, le réalisateur de la série, a dû imaginer la société du futur des années 3000. Le premier épisode nous plonge directement dans cet univers futuriste. On y observe de nombreuses avancées technologiques : des robots, très intelligents et humanisés, traités en êtres indépendants, des vaisseaux spatiaux et bâtiments flottants, présents dès le générique. De plus, dans les épisodes, nous remarquons l’apparition des voitures volantes rendant les roues obsolètes pour les transports. La population est également propulsée dans des capsules dans des tubes en verre pour se déplacer, remplaçant le métro new-yorkais des années 2000. Enfin, ce monde futuriste accueille également de nombreuses autres inventions, notamment celles du professeur Farnsworth comme le flairoscope, détectant les odeurs des corps célestes, ou encore les cabines à suicide !
Pour autant, la série ne dépeint pas du tout un futur idéalisé où tous les problèmes du présent sont réglés. Malgré l’environnement futuriste, les problèmes de la Terre n’ont pas changé : pauvreté, même chez les robots, pollution ou encore guerres. Le message est clair : ne comptons pas sur les progrès futurs pour résoudre nos problèmes ! Où que l’on aille, nous aurons toujours à faire à cette bonne vieille humanité, avec ses qualités et ses défauts. Derrière la satire, la caricature ou le burlesque, qui sont ses principaux registres comiques, la série porte haut et fort certaines valeurs : l’acceptation de la diversité des êtres, le droit au défaut et à l’erreur, à la condition d’en assumer la responsabilité, plutôt que de la renvoyer à autrui ou aux générations futures.