Intelligence artificielle : quand la réalité rattrape la fiction

AUTEURS : Matheo Bernard, Titouan Burgy, Corentin Dentzer, Doryan Meneghelli

Avez-vous déjà regardé un film où le comportement d’un automate humanoïde était si proche de celui d’un homme que vous n’avez pas pu vous empêcher de penser: «Cela n’arrivera jamais, c’est juste un film…». On aurait, nous aussi, envie de vous rassurer en vous assurant qu’aucun film n’est vraiment réaliste, qu’il y a toujours une part d’invention dans la science-fiction… Malheureusement (ou heureusement, à vous de voir), les réalisateurs de science-fiction ont besoin d’inspiration, d’une part de réel dont s’inspirer. Steven Spielberg et autres réalisateurs de science-fiction ne peuvent pas se tromper à tous les coups! Si le robot que vous observez dans votre film devenait l’invention de demain?

Il existe bien des œuvres de science-fiction qui mettent en avant dans leurs scénarios des Intelligences Artificielles, généralement utilisées pour faire ressortir un problème éthique lié au potentiel développement d’un tel robot. On pense bien sûr tout de suite aux méchantes machines utilisées comme armes de guerre qui prennent le contrôle du monde comme dans Terminator (James Cameron, 1984) ou encore dans I, Robot (Alex Proyas, 2004). Cependant, mettons de côté ce stéréotype et observons plutôt un échantillon d’IA construites pour servir l’homme. Comment la fiction représente-t-elle l’avenir des machines destinées à fournir une aide dans les tâches quotidiennes de l’homme, qu’il s’agisse de passer le balai dans sa cuisine ou pour l’aider à se sentir mieux au plan sentimental.

Remplacer le travailleur

Pour commencer, parlons des intelligences artificielles qui visent à remplacer l’homme dans le travail. Cette idée de la machine qui nous remplace est très courante dans la science-fiction. Par remplacement de l’homme dans le travail, nous entendons que certains métiers soient réalisés par des IAs plutôt que par des êtres humains.

Prenons l’exemple de Jarvis, l’assistant vocal dans Iron Man (Jon Favreau, 2008), qui est capable de faire un diagnostic complet d’un être humain en seulement quelques secondes, remplaçant ainsi les métiers liés à la médecine. On peut alors, constater des exemples du même type à notre époque avec les opérations assistées qui représentent l’objet de nombreuses recherches et les possibilités ou encore les traitements personnalisés de plus en plus performants grâce au Big Data1.

Il est à noter que de nombreux métiers communs tendent à devenir complètement pratiqués par la machine. Un bon exemple d’œuvre montrant des IA de ce type est Vivy Fluorite Eye’s Song (Wit Studio, 2021), une série d’animation japonaise qui montre un monde dans le futur où, dans beaucoup de métiers, la machine a remplacé l’homme tel que des guides, des restaurateurs ou agents de sécurité. L’œuvre montre donc un aspect positif et efficace des IAs.

De telles applications existent d’ores et déjà: on peut penser à l’hôtel robotisé, ouvert un temps au Japon2, ou encore aux robots-policiers déployés récemment à Singapour3. Plus généralement, on peut penser que nombre de métiers techniques peuvent être remplacés par l’IA. Un rapprochement peut être fait avec l’objet d’étude de Néovision et Michelin qui travaillent sur la création d’une intelligence artificielle capable de détecter des dégâts sur des pneus d’avion4

Il est en effet intéressant de se pencher sur cette comparaison des avancées actuelles où l’intelligence artificielle montre de grandes possibilités qui paraissent accessibles mais nécessitant toujours un contrôle et une supervision humaine, là où la représentation fictionnelle montre des intelligences artificielles autonomes, en qui les gens ont totalement confiance. Or, il s’agit d’une question clé, au-delà des avancées technologiques pour atteindre ce niveau de performance: comment peut-on faire confiance à une IA? Comment se répartissent les responsabilités? On peut le constater avec les voitures autonomes qui se font désirer. Si certains peuvent estimer que l’avancée technologique est relativement proche de l’aboutissement où les voitures sont capables de conduire sur la route avec d’autres usagers et de communiquer entre elles, la législation, l’acceptation et le niveau technologique actuel sont encore loin d’être assez claires pour que l’idée de voiture totalement autonome voit le jour5.

Le compagnon émotionnel

Au-delà de la question du remplacement du travail, la science-fiction présente une autre figure de l’avenir des IA: la machine capable de penser et d’avoir des sentiments. On peut penser à l’épisode de la série Black Mirror «Bientôt de retour» dans lequel une femme enceinte vient de perdre son mari. Elle essaie alors d’utiliser un service capable d’analyser des images de son mari pour le recréer. Elle y arrive mais se rend au fil du temps compte qu’il n’est pas le même qu’avant. On peut supposer que ce «clone» est créé à partir de Deep Learning car, en effet, la femme ne fournit que les informations visuelles et vocales de son mari pour le créer.

Hélas, les informations qu’elle fournit au système ne sont que des moments heureux ce qui influe sur le «clone» qui ne sera qu’une version positive de l’homme. Une scène à la fin de l’épisode montre qu’il ne sait pas faire ses propres choix et faire la part des choses. En effet, dans cette scène, la femme (qui ne se sent plus heureuse avec ce «clone») lui demande de sauter dans le vide. Il répond alors que si telle est sa volonté, il le fera. Impossible donc de «reconstruire» un mort grâce à l’IA, mais plutôt une version «esclave» de ce dernier avec un rôle à accomplir.

Ici encore, et aussi fou que cela puisse paraître, la réalité a rejoint la fiction: OpenAI a dû carrément interdire ce genre d’usage, après qu’un jeune homme ait «reconstitué» en utilisant GPT-3 sa petite amie décédée, pour continuer à s’entretenir avec elle6. Au-delà de ces applications visant à faire revivre les morts, ces exemples nous renvoient à la démultiplication des assistants personnels, à qui les firmes essaient de donner une forme de personnalité.

La machine consciente

Enfin, dans cette dernière partie, nous allons parler des machines qui verront peut-être le jour dans de très longues années, mais qui sont tout de même présentes dans des films ou séries très avant-gardistes. Dans un premier temps, nous pouvons à nouveau citer l’un des épisodes de Black Mirror, nommé Ashley Too, où le cerveau de la superstar Ashley, dans le coma, est copié dans des jouets, vendus aux enfants comme poupées de compagnie. A travers cet épisode, on distingue un stade très avancé de l’IA, où cette dernière est créée à partir d’une copie même d’un cerveau humain. Ce stade n’a même pas encore été imaginé par les scientifiques d’aujourd’hui mais pourtant, cet épisode évoque des idées autour de l’IA qui pourrait, potentiellement, arriver dans le futur et nous met en garde par rapport à ces avancées, puisque l’IA devient folle.

On pourrait également parler de l’anime Sword Art Online (Tomohiko Itō, 2012) qui montre un monde où l’humanité a réussi à copier les cerveaux humains et les utilise pour la création d’un monde virtuel afin de prévoir l’évolution de l’humanité en partant de deux humains jusqu’à une véritable civilisation.Cette expérience nous montre que les usages de l’IA n’en sont qu’à leur début et que l’on peut imaginer des ruptures radicales, à partir des films et séries, qui sont, à la fois, très éloignés de la réalité actuelle, mais présents dans l’imagination de tous.

Après tout, il est déjà arrivé très régulièrement que des inventions soient d’abord esquissées dans la science-fiction avant de passer au réel, qu’il s’agisse des sous-marins, de la bombe atomique ou encore du metaverse, si à la mode aujourd’hui ! Chaque science-fiction propose un mixte de vérité et d’aberration scientifique. A nous de démêler les deux composantes, mais aussi d’utiliser ses images pour nous projeter dans l’avenir. La science-fiction présente l’avantage d’imaginer les IA en situation, de lever les problèmes éthiques qu’elles peuvent poser si leurs usages devaient se généraliser dans le grand monde7.

Que reste-t-il de ces promesses ?

A l’heure actuelle, bon nombre des promesses faites par ces pionniers se sont réalisées. Le couplage avec la machine via des interfaces symboliques, l’accès à l’information en réseau font partie intégrante de nos sociétés. Au point, que nous en sommes même dépendants : l’économie du monde entier est basée sur ces techniques d’accès à l’information. Tout ce qui nous entoure est relié de près ou de loin à une informatique, qui doit beaucoup aux programmes pionniers des années 1960.

Mais ces technologies ont-elles vraiment produit les effets révolutionnaires et utopiques qui motivaient ces chercheurs ? Utilise-t-on cette technologie comme les scientifiques des années 1960 l’avaient imaginé ou conçu ? Force est de constater que loin de libérer l’intelligence, ces technologies sont aussi sources de dérives et d’abrutissement aussi bien au niveau individuel que collectif. Même si la technologie a permis de réaliser des choses incroyables,  elle est loin de nous avoir ouvert “les portes de la perception”, comme en rêvait l’informatique contre-culturelle.

 


 

  1. « Artificial Intelligence in Medicine », Mendeley, 17 avr. 2018 (https://www.mendeley.com/careers/news/careers-jobs-field/artificial-intelligence-medicine)
  2. Morgane Tual, « Le premier hôtel géré par des robots ouvre ses portes au Japon », Le Monde, 17 juillet 2015 (https://www.lemonde.fr/pixels/article/2015/07/17/le-premier-hotel-gere-par-des-robots-ouvre-ses-portes-au-japon_4687360_4408996.html)
  3. Marc Thibodeau, « Singapour : des « policiers » robots en renfort », La Presse, 17 octobre 2021 (https://www.lapresse.ca/international/asie-et-oceanie/2021-10-17/singapour/des-policiers-robots-en-renfort.php)
  4. Vincent Martin, « Michelin, Reconnaissance de dommages sur pneus d’avions », Neovision, 7 avril 2020
    (https://neovision.fr/portfolio-item/detection-et-reconnaissance-de-dommages/)
  5. Sur le sujet, voir Aurélien Vasseur, Hicham Arahhou, Kadir Ercin, « Quelle autonomie pour le véhicule autonome ? », ACID, 2 (https://acid.utbm.fr/2021/09/27/quelle-autonomie-pour-le-vehicule-autonome/)
  6. Dan Robitzski, « OpenAI Shuts Down GPT-3 Bot Used To Emulate Dead Fiancée », Futurism, 9 août 2021 (https://futurism.com/openai-dead-fiancee)
  7. Sur les apports et limites du design spéculatif, à partir de la science-fiction, voir Benjamin Monserand, Guillaume Regnier, Théau Zatti, Florian Gradoux, « Peut-on faire du design avec Black Mirror ? », ACID, 2 (https://acid.utbm.fr/2021/09/23/peut-on-faire-du-design-avec-black-mirror/)