L'ère des iartistes : et si nos artistes préférés étaient des robots ?

AUTEURS : Christian Do, Maxime Georget, Esteban Le Liboux

Une intelligence artificielle qui peint aussi bien que Rembrandt, vous y croyez ? Quatre siècles après la mort du célèbre peintre hollandais, une IA a réussi à créer un nouvel autoportrait totalement unique, au point de ne plus reconnaître les vrais du faux1. Vous êtes sceptiques ? Nous vous mettons au défi : pouvez-vous retrouver le faux parmi les quatre ?

Si cela ne vous saute pas aux yeux, la réponse est en note de bas de page2!

Une IA capable d’imiter le travail d’un artiste, qu’on le veuille ou non, c’est quelque chose de tout à fait possible aujourd’hui. L’indiscernabilité entre le travail de l’auteur ou celui de la machine est de plus en plus convaincante. Et cela vaut pour tous les types d’art, quand on sait que GPT-3, l’intelligence artificielle d’Elon Musk aux 175 milliards de paramètres, a réussi l’exploit de se faire passer pour un des plus brillants poètes français et de reléguer ce pauvre Rimbaud au statut de machine. Croyez en vos yeux et vos oreilles, Molière, Hugo et Flaubert ont du souci à se faire.

Et pourtant, on pensait l’art protégé du spectre de l’intelligence artificielle, que cette dernière ne pourrait jamais égaler la créativité humaine. Capable de battre un champion d’échec et d’exceller dans la pensée logique, d’accord; mais accéder aux passions et à leur expression, jamais. Ce préjugé s’effondre quand on sait que l’art est peut-être le domaine où l’IA excelle le plus.

Vous n’êtes pas encore convaincus?

Commençons par la musique, et un clip de rap totalement artificiel, de l’écriture des paroles, à l’instrumental, jusqu’au clip, réalisé par deep fake. Le résultat est juste impressionnant et quelque peu terrifiant lorsqu’on apprend que l’interprète de Jack Park Canny Dope Man est Travis Bot, une intelligence artificielle imitant le rappeur Travis Scott. En analysant les mélodies, les paroles ainsi que les styles des artistes, l’IA est capable de produire une sorte de copie, qui est, dans ce cas, extrêmement réaliste au point de ne plus reconnaître le vrai du faux.

D’autres exemples parlent d’eux mêmes comme la chanson Daddy’s qui reprend de manière très convaincante le style des Beatles ou encore l’autocomplétion de la dixième symphonie de Beethoven, œuvre inachevée du compositeur allemand, terminée par une intelligence artificielle près de deux siècles après la mort de l’artiste3.

Le domaine de la littérature et de la poésie n’est pas plus épargné par l’intelligence artificielle. Dans ce domaine, une IA surclasse aisément toutes ses concurrentes: la fameuse GPT-3. Le principe est assez semblable à celui de la musique. Après avoir donné des extraits à analyser, l’intelligence artificielle est capable de générer un texte similaire à ceux analysés. C’est ainsi que l’analyse de deux textes des Fleurs du Mal de Baudelaire à permis de générer un poème assez convaincant, qui a lui-même été comparé à un poème en prose d’Arthur Rimbaud. Les personnes interrogées se sont pour la majorité trompées et ont pris l’intelligence artificielle pour un des plus grands poètes français4!

Toutefois sur des textes longs et sans intervention de l’homme, l’intelligence artificielle peine encore à convaincre. La sémantique globale et la structure du récit restent assez pauvres et le manque de cohérence entre les lignes lui font souvent défaut. C’est pourquoi la poésie correspond parfaitement aux possibilités de l’IA. Produire des textes peu structurés, avec une cohérence approximative n’est pas un frein à la création de poèmes; au contraire, les images folles et les rapprochements audatieux participent de la licence poétique!

On retrouve le même principe dans le monde de la peinture. Cette tâche, ce trou ou ce trait sont-ils volontaires? De nombreux éléments discordants peuvent changer une simple toile en chef d’œuvre dans le monde de l’art. C’est ce qui fait la force des IA génératives, qui peuvent faire passer une erreur de code pour un coup de génie. Ajoutez à cela que ces dernières sont déjà capables de reproduire des styles existants comme de proposer des œuvres originales aux dimensions nouvelles.

La valeur artistique de ce type d’art fabriqué ou cofabriqué par une intelligence artificielle commence sérieusement à convaincre, au point que sa valeur monétaire commence déjà à lui emboîter le pas. Effet de mode ou réelle valeur artistique? Difficile à dire, mais certaines œuvres s’arrachent et les prix s’affolent. Dans la très prestigieuse maison d’enchères Christie’s, 432 500$ ont été déboursés pour le Portrait d’Edmond de Belamy, créé exclusivement par une intelligence artificielle et imprimé sur toile5.

L’une des autres applications de l’IA pour la peinture est la reconstitution ou la complétion d’œuvres. Dernièrement, The Lonesome Crouching Nude un tableau inachevé de Picasso a été complété par une intelligence artificielle en s’inspirant du style de l’artiste6. Mais peindre un Picasso, près de 50 ans après la mort du célèbre peintre espagnol soulève de nombreuses questions. L’attribution des droits d’auteur fait immédiatement controverse7. En effet, lorsque la famille Picasso a porté plainte pour atteintes aux droits d’auteur, un grand débat a été lancé: qui est l’auteur de l’œuvre dans ces conditions? L’artiste inspirant, l’intelligence artificielle, l’utilisateur de cette dernière ou encore le concepteur de l’IA? La question est loin d’être tranchée et la législation actuelle ne donne aucune réponse pour l’heure.

Cet exemple fait aussi émerger de nombreuses questions éthiques et pose un problème de taille: peut-on faire revivre les morts de la sorte ou en tout cas, parler en leur nom et affirmer qu’ils auraient agi de la sorte8? Les arguments des deux côtés ne manquent pas et il est difficile de savoir quelle reconnaissance auront ce type d’œuvres à l’avenir.

Et quelle reconnaissance pour l’artiste? Celui-ci est vu aujourd’hui comme un modèle, une personne qu’on admire, qui dispose de dons parfois hors du commun. Avec ce type de technologie, il est facile de se faire passer pour Baudelaire, Mozart ou Picasso. La question du mérite n’aurait ainsi plus aucun sens et un artiste, un vrai, pourrait ne plus être pris au sérieux. L’art est beau quand il vient de l’humain, le restera-t-il, sans cette admiration du lecteur, de l’auditeur ou de l’observateur? Après tout, la sanctuarisation de l’auteur et de l’artiste est une donnée récente de l’histoire de l’art, qui émerge à partir du 17e et 18esiècle, en effaçant la part collective du travail artistique, en insistant à tout prix sur l’originalité plutôt que la copie et le réemploi, qui sont pourtant cruciaux pour la création. L’IA va-t-elle rebattre les arts et conduire à réinventer ou à relativiser la notion même d’auteur?

A l’inverse, la création artistique par IA, dont la nouveauté nous fascine à l’heure actuelle, ne deviendrait-elle pas, à la longue, lassante, anecdotique, au fur et à mesure que nous apprendrons à repérer la supercherie ou même le style des IA? De plus, l’IA ne peut fonctionner qu’en puisant dans les productions humaines. Si toutes ces créations stupéfiantes venaient à être produites en masse, ne pourrait-on pas aboutir à un déficit de créativité de la part de l’IA, qui n’aurait plus qu’à se copier elle-même?

Mais peut-être faut-il imaginer une segmentation des usages: l’intelligence artificielle pourrait être utilisée en masse pour concevoir des créations basiques, destinées à remplir à une attention de basse intensité – musique d’ascenseur, reformulation de dépêches journalistiques, quand les créations destinées à une attention soutenue serait encore oeuvres humaines, assistées éventuellement par IA.

Seul le futur nous dira si les IArtistes signeront la mort de la création artistique ou, au contraire, sa renaissance avec des formes inédites.

 


.    ING et Microsoft, « The next Rembrandt », (https://www.nextrembrandt.com/)

  1. L’œuvre de l’IA est la première toile.
  2. « Musique. Une œuvre inachevée de Beethoven complétée grâce à l’intelligence artificielle », Courrier international, 4 septembre 2021, (https://www.courrierinternational.com/article/musique-une-oeuvre-inachevee-de-beethoven-completee-grace-lintelligence-artificielle)
  3. Sondage réalisé en séance de TD
  4. « À New York, un tableau réalisé par intelligence artificielle aux enchères », Courrier international, 24 octobre 2018, (https://www.courrierinternational.com/article/art-new-york-un-tableau-realise-par-intelligence-artificielle-aux-encheres)
  5. « Artificial Intelligence Used to Reproduce ‘Lost’ Picasso’s ‘Lonesome Crouching Nude’ », Art Dependence, 12 octobre 2021, (https://www.artdependence.com/articles/artificial-intelligence-reproduces-lost-picasso-s-lonesome-crouching-nude/)
  6. Béatrice Cohen, « Le droit d’auteur confronté au « robot-artiste » et à l’intelligence artificielle. », Village de la justice, 30 mars 2020 (https://www.village-justice.com/articles/droit-auteur-confronte-robot-artiste-intelligence-artificielle,34359.html)
  7. Un problème similaire se pose pour la recréation des performances d’acteurs décédés, comme on le voit dans l’article de sur les Deep Fakes.