Man from earth : la véritable science-fiction

AUTEURS : Elliot Duval, Alban Eve

Et si l’auteur de la bible était toujours parmi nous ? C’est la situation qu’imagine Man from Earth, un film réalisé en 2007 par Richard Schenkman. Il n’a pas connu un grand succès, mais n’en reste pas moins particulièrement intéressant pour sa représentation des sciences.

Dans cette œuvre à petit budget qui a la particularité de se dérouler dans une seule et même pièce, nous retraçons la vie de John Oldman,professeur d’université, qui annonce à ses collègues un soudain changement de vie. L’histoire que leur raconte John, qu’il est un homme immortel, qui a traversé toute l’histoire, qui a même été le Christ, peut-elle tenir la route ? Comment établir la vérité se demandent ses collègues, qui tentent par tous les moyens de trouver une faille dans ce récit fou, représentait mieux la science-fiction en action que la plupart des blockbusters hollywoodiens ?

Une structure atypique

Ce film à petit budget, a la particularité d’avoir un noyau de personnages centraux qui ne quittent ni le salon de la demeure de John ni l’œil de la caméra durant sa quasi-totalité; ce qui rend le graphe si particulier. Les personnages de ce huis-clos se distribuent en étoile, sans qu’il soit véritablement possible de distinguer le personnage principal, constamment en interaction avec les autres. En revanche, on constate une distinction nette entre le noyau et sa périphérie constituée d’autres groupes de personnages de différentes époques, mentionnés dans le récit de John.

Au cours d’un pot de départ, John raconte être en train d’écrire un roman de science-fiction sur un homme immortel qui serait de notre monde. Fort d’un enthousiasme général, John pousse l’expérience et affirme qu’il est cet homme vieux de 14 000 ans! De nombreuses questions fusent, auxquelles John est capable d’apporter des réponses d’une précision étonnante; ce qui laisse les autres personnages, comme le spectateur, perplexes durant l’entièreté du film.

Durant le récit de John, une question reçoit un traitement important: a-t-il eu des histoires d’amour, des relations, d’éventuels enfants? En effet, John se permet des plages de 20 ans dans un même entourage avant de disparaître du jour au lendemain, pour ne pas que son secret soit percé à jour. S’il a eu quelques relations, mais que la difficulté émotionnelle de ne pas vieillir et ainsi de voir ses proches mourir le force à ne pas s’attacher. Toutefois, il explique avoir déjà eu quelques enfants durant son histoire, et en a d’ailleurs déjà vu un mourir. Ce côté émotionnel opposant son immortalité personnelle à la mortalité de son entourage est un point majeur de son récit. C’est un autre enjeu du récit: la romance de john est intemporelle, mais John partage actuellement sa vie avec une femme présente dans la pièce et ne semble pas avoir de problèmes avec cela… ce que ne peuvent comprendre les autres personnages.

Un portrait du corps scientifique

Man from Earth est aussi une analyse comportementale du corps scientifique. Les amis de John disposent chacun d’un doctorat dans un domaine scientifique différent: nous avons donc l’avis du physicien, de l’historien et anthropologue, du philosophe, du psychanalyste… Certains pensent à une vaste blague et que John cherche à se moquer et à tester la naïveté de ses collègues; c’est le cas du physicien et du psychanalyste.

Mais l’objectivité de ce dernier est mise à mal, car on apprend qu’il a d’ailleurs perdu sa femme quelque temps avant d’écouter le récit de John. Il ne supporte pas le fait que ce dernier échappe à la mort et fait un parallèle avec le vampirisme, qui conduit à troquer une vie contre une autre. L’incompréhension initiale se transforme en agressivité et il va même quitter la scène une partie du film pour ne pas entendre John.

A contrario, l’anthropologue et le biologiste pensent que la présence d’un tel individu de nos jours serait tout à fait possible avec l’aide d’une régénération cellulaire parfaite et sont donc réceptifs aux propos de John. En tant que bons scientifiques, ils vont chercher par tous les moyens à démanteler la thèse de l’homme immortel. Les personnages les plus intéressants restent ceux qui ne croient pas, mais argumentent, posent des questions, et font avancer le récit de John en même temps que le film.

On retrouve une opposition principale entre deux attitudes: nous avons, d’un côté, le groupe de scientifiques qui soumet le récit de John à ses instruments d’investigation; de l’autre un ensemble de personnages qui se refusent à croire et adoptent une position de refus dogmatique. Ceux-ci représentent plusieurs formes du dogmatisme: si le refus du psychanalyste s’explique par un trop fort engagement émotionnel, les personnages d’Edith et Will art représentent deux dogmatismes opposés, un dogmatisme religieux pour la première, anti-religieux pour le second, qui les amène à ne pas vouloir se confronter aux faits. Le portrait de la science comme une sorte de recherche permanente du vrai, soumettant les thèses à la critique, et une volonté de savoir, sans certitude arrêtée, dont l’ennemi est le dogmatisme, est particulièrement intéressant.

Ces personnages payent le prix de leur refus de la science. Les croyances d’Edith sont démystifiées petit à petit par l’enquête de ses collègues. Quant au psychanalyste Gruber, la surcharge émotionnelle que lui apporte le récit, le conduit à un malaise cardiaque, puis à la mort.

Une vraie science-fiction ?

Le film illustre ainsi le cheminement de la méthode scientifique: on y trouve la science en action, dont l’une des caractéristiques principales reste la modestie. Tout au long du film, les scientifiques font leur travail, non sans préjugés ni leurs résistances initiales, ce qui associe la démarche scientifique à des valeurs éthiques.

Il faut d’abord un certain courage, puisqu’il y a une prise de risque à penser contre ses certitudes initiales, tout en conservant une indispensable modestie: affronter l’incertitude sans pouvoir se réfugier en un absolu. Les scientifiques peuvent se tromper, n’ont pas toujours raison et suivent des hypothèses sans en être complètement sûrs. C’est ce travail contre la certitude qui triomphe en fin de compte.

Il est particulièrement intéressant de constater que ce portait de la science vaut tout aussi bien pour les collègues de John que pour John lui-même. Son immortalité ne lève pas les limites de la condition humaine: John n’est pas devenu un Dieu; au contraire, c’est Jésus qui est devenu un Homme, ou plutôt qui l’a toujours été. John ne dispose pas plus d’un savoir absolu que ses collègues. Il reste humain en dépit de son immortalité et la valeur qui reste, la plus importante, c’est cette espèce de quête modeste de la vérité.

Le plus grand point fort de ce film est que cette image de la science n’est pas seulement montrée dans le film, mais que son dispositif conduit le spectateur à pratiquer la même forme d’enquête et à adhérer à la démarche tout au long du récit, se demandant sans cesse si ce que raconte John est plausible ou non. Ainsi, le spectateur fait sa part de science.

Ce film conduit à un sentiment paradoxal quant à la notion de science-fiction. Ce film est (enfin) une science-fiction qui parle réellement de science et pas simplement une vitrine de techniques animée par un scénario quelconque. De plus, la science y est abordée sans connotation d’absolu, la science reste modeste. De ce point de vue, Man From Earth est l’exact opposé de Lucy. Là où Lucy acquiert le savoir absolu en devenant un personnage immortel traversant toute l’histoire humaine, John reste un homme, avec toute sa faillibilité et ses doutes. On apprend notamment qu’il a peut-être déjà croisé d’autres immortels, mais qu’il ignore à peu près tout de leur existence. De même, il est lui-même débordé en tant qu’individu par le mouvement continu des savoirs qu’il ne peut maîtriser.

Si toutes les disciplines collaborent dans l’enquête, il n’est cependant pas indifférent que John soit historien. Son immortalité transforme le statut du savoir historique, qui n’est plus affaire de sources secondaires à reconstituer patiemment à partir des archives, mais un récit vivant. L’histoire trouve ici une forme parfaite où elle se livre comme un témoignage de première main. Reste qu’à la fin, la vérité de l’histoire doit toujours être soumise à la critique.