AUTEURS : Théotim Lebrun, Albert Royer
Saviez-vous que l’homme se hisse au sommet de l’échelle des prédateurs, au côté du roi de la jungle. Et pourtant, il n’a aucune qualité physique hors-norme, ni la vitesse, ni la force, ni l’adresse, pour rivaliser face à un lion. Ce pouvoir, l’homme le tire de son intelligence et de sa technique. Mais si on lui enlevait ces deux caractéristiques, il redescendrait tout en bas de l’échelle. Mais que se passerait-il si l’intelligence des animaux venait soudainement à évoluer ? Comment réagirait l’humanité si la caractéristique unique qui l’a fait grimper tout en haut du règne animal venait à se diffuser à l’intégralité des espèces ?
C’est à cette question que s’attache la série Zoo, qui cherche à imaginer l’impact sur la vie humaine d’un tel déclassement. Zoo est une série américaine, sortie en 2015, tirée du roman éponyme de James Patterson (2012). Elle est constituée de 39 épisodes de 42 minutes. Les animaux sauvages se mettent d’un coup à devenir extrêmement agressifs : et si l’homme se trouvait dépassé par les autres espèces ?
En observant le graphique des personnages, on aperçoit un noyau composé de nos cinq protagonistes principaux : Jackson, Jamie, Abraham, Chloé et Mitch. En regardant le graphique au seuil 3, on peut confirmer que tous les personnages secondaires sont liés avec au moins deux ou trois personnes de notre noyau.
Ces liens se réalisent de deux manières différentes. La première prend notamment naissance avec la narration dynamique instaurée dans les trois premiers épisodes. En effet, ces épisodes nous présentent deux histoires avec chacune un duo de personnages principaux : l’une avec Jamie et Mitch, l’autre avec Jackson et Abraham. Ces deux histoires se chevauchent, avec un montage parallèle entre les scènes, qui donne une impression de vitesse. Puis petit à petit, les chemins se rejoignent et les personnages principaux se rencontrent. A partir de là, la manière de tisser des liens change : les personnages du noyau se connaissent et commencent à enquêter, de part et d’autre du globe, en petits groupes, ce qui renforce les différents liens.
De plus, on observe sur le graph à seuil 20, que la périphérie se structure avec un phénomène d’histoires secondaires, via des personnages toujours liés aux personnages principaux, mais qui ne sont présents que pendant certains épisodes.
Le graphe est marqué par une forme d’équilibre entre les trois grandes catégories – science, technique et politique. Si du côté des animaux, la dimension politique domine, du fait de l’intrigue principale de la série, le noyau central, avec son groupe humain, comporte en revanche des représentants de chaque domaine ; lesquels présentent souvent plusieurs attributs. Jackson Oz apparaît au départ comme un personnage technique, mais il agît grâce aux connaissances acquises auprès de son père : ce qui fait de lui une sorte de personnage scientifique agissant, un peu à la manière de l’archétype d’Indiana Jones, archéologue et baroudeur.
Mais Jackson n’est pas le seul à avoir une double casquette. Evan Lee Harley n’appartient pas au groupe des héros, mais il est très présent de l’épisode 3 à 6. Il mélange de son côté la dimension scientifique – sa profession d’origine – et l’animalité politique, car il a subi les effets du virus qui permettent aux animaux d’évoluer. Ainsi il devient le meneur alpha d’un groupe de loups.
Les autres personnages du noyau complètent les fonctions. Mitch est un scientifique pur, mais qui utilise ses connaissances pour l’invention technique. Jamie est un personnage politique à travers son travail de journaliste engagée contre Reiden Global. Chloé et Abraham sont des personnages purement techniques. On à donc un éventail assez large, qui permet une certaine polyvalence au groupe.
La science joue cependant un rôle crucial dans la série. En effet, nous apprenons progressivement que la transformation du comportement animal est due à une mutation introduite par l’homme chez les animaux. La science est donc responsable du bouleversement de l’équilibre politique entre les espèces. C’est elle qui amène les animaux à se révolter et à renverser la domination humaine.
On pourrait se demander si les animaux acquièrent eux-mêmes une forme de science. On observe, en effet, qu’ils semblent posséder une connaissance éthologique remarquable du comportement humain. Ils sont capables de comprendre et d’exploiter les points forts et les points faibles de l’homme. S’agit-il du résultat d’une observation à long terme qu’ils seraient désormais en capacité d’exploiter ou au contraire du développement soudain d’une forme de science du comportement ?
Quelle que soit la réponse, cette capacité animale rejoint exactement la figure de la science mise en avant par la série. En effet, le personnage de Jackson Oz, lui-même fils du grand scientifique Robert Oz, est un expert du comportement animal. La compréhension du comportement des animaux, la capacité à anticiper leurs réactions, est montrée comme l’atout principal dont disposent les humains pour parvenir à éviter les ravages provoqués par la révolte des animaux. Si une certaine forme de science, les biotechs corrompues par la recherche du profit, est responsable du problème, une autre forme de science, l’éthologie, qui considère les animaux pour eux-mêmes plutôt que comme de simples instruments pour l’homme, apparaît comme la solution et la valeur la plus positive, devant la technique et la politique.
Si les animaux commençaient à évoluer et réfuter l’ordre de la chaîne alimentaire, comment devrait réagir l’espèce humaine ? Les animaux auraient enfin leur mot à dire. Comme le montre la scène avec Abraham tiré par des lions dans un arbre, uniquement pour envoyer un message de changement, il se peut que les animaux veulent juste la reconnaissance et la liberté qu’ils méritent. Une cohabitation serait donc possible avec des concessions. Mais qu’arriverait-il si le conflit était plutôt choisi ?
Le discours de la série apparaît au final ambigu. Si l’éthologie est mise en avant comme compréhension fine du comportement animal, si la domination violente sur les animaux est condamnée et si l’homme mérite, d’une certaine manière, cette revanche de la nature, dont il porte l’entière responsabilité par ses agissements condamnables, il n’en reste pas moins que la suprématie humaine doit être rétablie. Le bon agencement politique est une forme de domination paternaliste de l’humanité sur les animaux : un despotisme éclairé.
Le discours de la série s’éloigne donc considérablement d’une fiction comme La Planète des Singes, qui racontait une histoire extrêmement similaire au point de départ, avec son virus qui rend les singes intelligents, des firmes biotechs corrompues par la course au profit, des gentils scientifiques respectueux des animaux1. Mais dans La Planète des Singes, le temps de l’homme est révolu et c’est un singe qui émerge comme le protagoniste principal, avec plus de valeurs humaines – une combinaison de courage et d’intelligence – que les humains eux-mêmes. Or, rien de tel n’arrive dans Zoo, où comme le montre le réseau, aucun animal ne parvient au statut de personnage à part entière. L’animal reste défini par son espèce, comme une entité collective qui n’accède pas à l’individualité. Lorsque celle-ci est présente, c’est encore un personnage humain qui joue le premier rôle, comme dans le cas d’Evan Lee Harley, chef de la meute de loup.
De même, la comparaison avec Parasite fait encore ressortir le point de vue de la série. A la différence de La Planète des Singes, Parasite ne se conclue par sur la domination de la nouvelle espèce, mais par des formes de collaborations inter-spécifiques, voir même d’hybridations, qui sont envisagées positivement alors même qu’elles paraissent initialement générer des chimères ou des monstres. Entre la révolution animale – La Planète des Singes -, l’éloge de la coopération entre des espèces différentes – Parasite -, Zoo défend la voie d’un conservatisme éclairé, où les barrières entre espèces sont maintenues et où l’humanité conserve sa suprématie, à condition de l’éclairer et de la tempérer par la connaissance.