Robin Grosjean, Arnaud Planchin
Mélanger l’humain et la machine conduit-il à un monstre ou à un être parfait ? Alita, film de science-fiction produit par James Cameron en 2019, troque la malheureuse créature de Frankenstein par une ravissante petite cyborg, aussi dangereuse qu’elle est séduisante. Notre héroïne se révolte contre un monde divisé entre Zalem, la ville parfaite dans le ciel, et Iron City, une ville de déchets au sol. L’œuvre plaide pour le mélange et la coexistence des entités, humains, machines, cyborg contre les frontières établies.
Adapté d’un des plus grands classiques du manga, Gunnm, Yukito Kishiro, le film a reçu des avis critiques mitigés. On peut se douter que les amateurs ne sont jamais satisfaits des adaptations, surtout pour une telle œuvre culte, abandonnée aux mains d’un réalisateur, Robert Rodriguez plus connu pour ses films d’action au succès incertain que pour la qualité des intrigues. Mais le passage d’un graphisme en 2D, qu’il s’agisse de bande dessinée ou de son adaptation en anime, à un mélange entre 3D et prises de vue réelles était particulièrement périlleux. L’animation d’Alita en particulier a fait polémique, avec ses grands yeux sortis du manga et qui contrastent avec la figure humaine. Mais ce trouble, issu du mélange entre la technique de motion capture et le jeu humain de l’actrice Rosa Salazar, ne fait-il pas partie du message même du film ? Et si nous apprenions à aimer les cyborg plutôt qu’à maintenir les barrières entre les êtres ?
Une des particularités du graphe représentant le réseau des personnages est qu’il apparaît singulièrement enchevêtré ! Nous ne voyons pas apparaître deux camps bien distincts, à la manière des blockbusters américains où s’opposent les « méchants » et les « gentils ». Dans cette œuvre, il y a un certes conflit principal entre Alita et Nova, mais aussi de nombreuses scènes d’action qui amènent les protagonistes des deux camps à partager la scène ensemble sur une longue durée, ce qui rend le graphe moins polarisé.
Alita : Battle Angel appartient cependant à cette série d’œuvres structurées par une opposition entre les personnages du monde du « haut », les personnages du monde du « bas », auxquels s’ajoutent les transfuges qui circulent entre les mondes et sur qui se concentre le récit. Le monde « bas » dans Alita est représenté par la ville d’Iron City et le monde « haut » par Zalem.
La ville d’Iron City est décrite comme insalubre et dangereuse avec énormément de dangers. C’est une agglomération de logements précaires faits de matériaux de récupération des décharges de Zalem. Nous pouvons y voir majoritairement une population défavorisée avec des personnes comme Vector ou encore Chiren qui dirige l’entièreté de cette cité. Iron city est dominé par une extrême violence, les seuls personnes qui défendent cette ville du mal sont les chasseurs soldats comme le docteur Ido ou encore Alita.
Contrairement à Iron city, Zalem apparaît comme une ville idéale. Elle est décrite comme étant la perfection sans la moindre violence. Nous ne pouvons cependant que nous faire une idée de cette ville, car elle n’est jamais montrée durant le film, seulement évoquée d’en bas. La seule personne qui y vit durant le film est Nova qui dirige Iron City par l’entremise de Vector. Zalem est placée en hauteur, au-dessus de Iron City. La seule chose qui descend de Zalem sont les déchets rejetés par la ville à l’aide de vastes tuyaux en métal.
Personne ne peut aller à Zalem, à l’exception du vainqueur du tournoi de motorball. Cependant le film met en scène un ensemble de personnages transfuges qui sont allés de Zalem à Iron city ou inversement. Ces personnages sont Chiren, le docteur Ido et enfin Alita. Tous sont descendus : Chiren et Ido ont été contraints d’aller dans la ville d’iron City afin d’élever leur fille qui était malade, tandis qu’Alita est allée à Iron City inconsciemment, car elle est tombée dans la décharge de Zalem après avoir été lourdement endommagée lors de la guerre. A l’inverse, de nombreux personnages comme Hugo veulent accéder à Zalem. Mais le chemin est très exigeant.
De plus, d’après le graphique nous pouvons voir que les personnages politiques sont minoritaires par rapport à une majorité de personnages techniques. Ils jouent cependant un rôle très important car c’est eux qui sont à l’origine de l’histoire. Moins nombreux, ils dominent l’ensemble des autres personnages. La politique est représentée majoritairement par Nova, qui dirige l’ensemble d’Iron City par le biais de Vector. Il règne, seul, en tyran. Nous pouvons lier le système politique de cette œuvre au totalitarisme : il y a un parti unique, n’admettant aucune opposition organisée et où le dirigeant tend à confisquer la totalité des activités de la société. Nous pouvons penser ici aux descriptions de la philosophe Hannah Arendt. Arendt a défini la différence entre la dictature et un régime totalitaire, une dictature devient totalitaire quand elle investit la totalité des sphères sociales, ce qui n’est pas le cas dans cette œuvre car le pouvoir est exercé uniquement par Nova à Zalem. Or la ville d’Iron-City est laissée à elle-même et non dirigée directement par le dictateur qui est Nova dans notre cas.
Nous pouvons voir que dans cette œuvre il y a très peu de personnages scientifiques en comparaison aux personnages techniques. Ils jouent cependant un rôle crucial dans l’histoire. Il y a tout d’abord Chiren qui est une scientifique et qui est l’ex-femme du docteur Ido. Nous voyons à travers l’œuvre qu’elle utilise ses compétences scientifiques dans un unique objectif personnel qui est de rejoindre Zalem. Contrairement à Chiren, le docteur Dyson Ido et l’infirmière Gerhad utilisent leurs compétences pour aider les autres personnages, en les réparant. Ainsi nous pouvons voir que l’ensemble des personnages scientifiques sont dotés avec les mêmes compétences, mais qu’ils ne les utilisent pas dans le même but, ce qui crée donc deux formes sciences distinctes dans l’œuvre.
Nous pouvons aussi voir dans le film Alita une analogie frappante avec le l’histoire de Frankenstein. Dans celle-ci, un savant fou, Victor Frankenstein parvient à donner vie à une créature, qui est en réalité un cadavre d’homme reconstitué de chairs mortes. Puis, Victor décide d’abandonner la créature maléfique qu’il vient de créer. Livrée à elle-même, désespérée, la créature comprend qu’il lui sera impossible de mener une existence normale et qu’elle sera partout rejetée. Nous voyons donc une ressemblance marquante entre le docteur Dyson Ido et le docteur Victor Frankenstein, qui chacun donnent vie à une créature artificielle, même si Ido ne fait que réparer le corps d’Alita qui a été fortement endommagé lors de la guerre ainsi que la chute de Zalem. Mais contrairement à l’histoire de Frankenstein où le docteur est horrifié par la créature qu’il vient de créer, Idéo développe un fort lien d’amitié « père-fille » envers Alita. Ainsi la principale différence entre ces personnages est la relation qu’ils ont avec leur créature : dans Frankenstein le docteur est apeuré, perd le contrôle et décide d’abandonner sa créature, tandis que dans Alita : battle Angel le docteur Ido considère Alita comme sa fille et prend en charge son éducation. Alita rejoue ainsi le mythe de Frankenstein sous la forme d’une alliance entre humains et créatures artificielles.
Comme nous l’avons vu auparavant, cette œuvre comporte de nombreux conflits internes ce qui rend la lecture du graphe relativement compliquée. Cela est en lien avec le fait que le nombre de personnages techniques est relativement élevé. La plupart de ces personnages sont liés au personnage d’Alita, qui est le personnage principal, ils interagissent donc rarement uniquement entre eux hors de sa présence et se retrouvent systématiquement liés à elle.
A l’aide du graphique nous pouvons voir l’importance des liens entre les personnages. L’un des plus importants se situe entre Alita et Hugo, avec le lien amoureux qui se crée, ce qui les rapproche durant la majorité du temps.
A la différence de ce lien avec Hugo, les autres relations avec les personnages techniques résultent souvent d’affrontements au sein du film. Nous avons notamment le conflit avec le personnage de Grewishka, un humanoïde dirigé par Vector. Il apparaît tout d’abord comme un être massif et imbattable, mais lors de la première scène de combat, il se fait terrasser aisément par Alita, qui révèle ses talents de guerrière. Lors du second et troisième combat, la technique est davantage mise en avant. En effet, dans ces scènes avec Grewishka, Alita change d’apparence, suite à sa défaite lors du second combat où Grewishka l’a démembré à l’aide d’une arme redoutable. Comme dans la plupart des blockbusters américains, l’héroïne finit par triompher de l’ensemble de ses adversaires techniques.
La technique domine donc lors des combats, avec de nombreux changements d’apparences pour renouveler l’intérêt des scènes d’action. Alita est elle-même amenée à changer de corps pour endosser un corps digne de ses capacités.Un autre exemple frappant est celui du motorball, distraction principale des habitants d’Iron City. Il s’agit d’une course où il faut marquer un but afin de marquer un point. Lors de ces courses, tous les coups sont permis entre les adversaires. La technique est à nouveau mise en avant avec toutes sortes d’armes pour détruire ses adversaires et gagner le jeu.
Alita : Battle Angel se singularise surtout par la refus d’ériger une frontière entre humain et machine. Le personnage d’Alita illustre le fait qu’être un cyborg paraît plus intéressant qu’être seulement humain ou seulement robot. Mais cet intérêt pour une identité mixte va de pair avec un éloge de la diversité, c’est-à-dire de la cohabitation des différentes identités, qu’illustrent les personnages d’Ido, Chiren, Vector ou Hugo, qui sont tous des humains liés à Alita. Plus généralement, tous les genres (robots, humains, cyborgs) cohabitent dans Iron city et sur le graphe nous pouvons remarquer que absolument tous les genres sont présents dans l’œuvre.
Une des réussites principales du film, alors même qu’il a été particulièrement décrié pour réaliser l’adaptation en animation 3D d’une bande dessinée et d’un film d’animation 2D, est de retranscrire ce point de vue par ses images mêmes. Nous le remarquons aussitôt aussitôt en posant les yeux sur Alita. Nous sommes d’abord pris d’un grand malaise, avec ces deux yeux disproportionnés par rapport à son visage, qui en devient presque effrayant. A la manière d’un robot humanoïde, trop ressemblant, mais sans être non plus parfait, Alita déclenche le genre de dégoût qui a été théorisé en robotique par le concept de la « vallée de l’étrange ». Or cette gêne n’est que de courte durée : au fur et à mesure du film, nous nous habituons à son apparence et commençons à nous attacher à Alita. Nous vivons en tant que spectateur le genre de rapprochement entre humain et machine que célèbre le film.