Avatar : crotique ou célébration de la technologie

Picot Arthur, Jovenin Eileen

Sorti en 2009 et numéro un au box-office mondial, Avatar a su marquer les esprits grâce au nouveau souffle apporté au monde des effets spéciaux. En effet, il s’agit là du premier film avec au moins 50% d’images entièrement réalisées par synthèse, la quasi-totalité du tournage a été effectuée via incrustation et motion capture. Selon le réalisateur du film, James Cameron, le film était reporté depuis les années 90 en attendant que la technologie lui permette de dépeindre fidèlement sa vision qu’il avait de l’univers d’Avatar.

Le film déploie une fable écologique et anti-coloniale, dans laquelle un peuple autochtone se délivre de l’emprise de colons, supérieurs techniquement mais aussi avides de profits. Comment ne pas s’interroger ici sur la contradiction entre le message de fond du film et la critique de la technique, destructrice de la nature et des peuples, qu’il développe et sa forme même de blockbuster ultime, fondé sur la débauche des effets spéciaux ? Peut-on célébrer la supériorité de la nature sur la technique… par la technique elle-même ?

L'opposition des deux mondes

L’histoire nous est présentée du point de vue de Jake Sully, un ancien marine paraplégique qui à la suite de la mort de son frère Tom Sully, doit le remplacer pour une mission qui se passe en2154 sur Pandora, une exolune située à plusieurs années-lumière de la Terre. Le but de cette mission est de récupérer de l’Unobtanium, un minerai extrêmement rare et cher qui permettrait de résoudre la crise énergétique sur Terre.

Or une tribu de Na’vis nommée les Omaticayas vit sur l’un des principaux gisements d’Unobtanium. Ainsi, une équipe composée de Jake, Norm et Grace vont devoir s’intégrer à la tribu à l’aide d’avatars, des corps contrôlés à distance, pour tenter de négocier avec eux. Mais cette stratégie ne plait pas à la RDA (Administration du Développement des Ressources) une organisation non gouvernementale ainsi qu’aux militaires sur place qui la jugent trop peu efficace et décideront d’utiliser la force brute pour arriver à leur fin.

Nous sommes ici face à un film adoptant une structure manichéenne. En effet, deux mondes se présentent à nous à la fin du film: le monde d’en Haut (les colons survolent la planète) comptant les militaires, la RDA et des scientifiques et le monde d’en Bas parmi lequel nous retrouvons le protagoniste Jake, venu d’en Haut, mais rallié aux habitants du Bas, ses coéquipiers ainsi que les Na’vis. Au fur et à mesure de l’œuvre, Jake abandonne ses semblables Terriens, considérant leurs méthodes comme brutes et peu éthiques. Il va donc directement s’opposer à eux en se rangeant aux côtés des Na’vis pour aider à défendre leurs terres.

On peut noter que contrairement à bon nombre d’œuvres qui mettent en scène deux mondes, ordonnés entre le haut et le bas, à la manière de Wall-E, Alita, Elysium, Altered Carbon, le héros se caractérise par une trajectoire ascendante: issu du Bas, il se confronte à l’univers du Haut. Ici notre personnage principal, Jake, effectue la trajectoire inverse et quitte le monde d’en haut, trahissant les siens plutôt que de leur être fidèle, afin de rejoindre celui d’en bas et les Na’vis. Sa trajectoire pourrait ressembler à celle d’Oblivion, si ce n’est que dans cette dernière œuvre le monde du Haut se révèle factice et la question de la trahison ne se pose pas. Avatar se présente donc comme une exception sur ce schéma narratif.

Sur le graphe, nous pouvons constater la présence d’un noyau central constitué du groupe d’Avatars (Jake, Norm et Grace). De plus, d’un côté nous avons les Na’vis avec Neytiri, qui est mise en avant par rapport au groupe, et de l’autre côté les militaires, avec le Colonel Miles qui les dirige. Ce noyau est assez symétrique, dans le sens où nous avons deux personnages emblématiques de chaque monde (haut/bas), puis le groupe d’avatars qui eux voyagent d’un monde à l’autre.

Dans le monde d’en Haut, nous avons des scientifiques, principalement des biologistes qui étudient la planète Pandora et s’occupent des avatars, puis quelques anthropologues qui, eux, s’occupent des interactions sociales entre Na’vis afin de mieux comprendre ce peuple. Les héros possèdent deux antagonistes bien identifiés: le Colonel Miles, un personnage technique de par son métier, et Parker Selfridge, le représentant politique de ce monde. En effet, c’est lui qui supervise le programme Avatar: il fait l’intermédiaire entre les humains présents sur Pandora et les groupes d’industriels qui veulent s’emparer de l’Unobtanium.

Du côté du monde d’en Bas, nous avons les Na’vis, plus particulièrement les Omaticayas, une tribu dirigée par une famille constituée d’Eytukan, Moat, Tsu’Tey et Neytiri. Les Na’vis sont majoritairement des personnages techniques, puisqu’on les voit employer des outils, rudimentaires, pour chasser (couteaux, arcs et flèches) ou encore se déplacer (animaux comme des chevaux ou encore des sortes de grands oiseaux). Cependant, une figure religieuse est mentionnée dans le monde des Na’vis, Eywa, dont Moat est la «prêtresse». Cette dernière est le guide spirituel des Na’vis. Eytukan quant à lui est le leader politique des Omaticayas.

On note que notre groupe central d’Avatars possède deux scientifiques (Grace et Norm) et un personnage technique (Jake, grâce à son passé d’ancien marine). En revanche, Jake évolue en passant de la technique à la politique: au fur et à mesure de sa transition du monde d’en Haut vers le monde d’en Bas, il s’illustre en tant que nouveau chef des Na’vis et endosse un rôle de dirigeant.

Cette photo de l’affrontement final illustre parfaitement le contraste des technologies entre le monde d’en Haut et celui d’en Bas. Nous voyons le Colonel Miles dans une sorte de mecha/exosquelette face à Jake, contrôlant son avatar et adoptant une posture presque animale, sauvage. Ici Miles est en hauteur par rapport à Jake, ce qui représente la domination technique et scientifique des humains face aux Na’vis. Cette scène permet aussi de voir la flore de Pandora et en fond, le module permettant au groupe d’avatars de basculer d’un monde à l’autre.

High-tech et modernisme contre low-tech animiste

Au-delà d’un duel de groupes de personnes, le film met en scène un affrontement entre deux visions du monde.

En effet, le monde d’en Haut est principalement constitué de militaires et de scientifiques, que l’on pourrait qualifier de mécanistes ou cartésiens. Ils n’agissent que par la raison, la logique, la science. Ils sont méthodiques et ne font jamais de suppositions. De plus, ils mobilisent la science au service de leur projet qu’il s’agisse de la construction d’armes ou d’équipements high tech, ou des sciences humaines, avec l’anthropologie, enrôlée au service de l’armée.

Par opposition, dans le monde d’en Bas, le seul élément qui pourrait servir de comparaison serait la Religion, puisque selon les croyances des Na’vis, Eywa serait un esprit qui habiterait tout être composant leur monde. Leurs terres sont sacrées ainsi que les animaux et les plantes, il y a une circulation d’énergie entre chaque élément qui compose leur monde. De plus, leurs techniques restent rudimentaires afin de rester en harmonie avec leur environnement naturel. C’est ainsi que suivant les typologies de Philippe Descola, nous pouvons qualifier le monde d’en Bas d’animiste.

Cette dualité présente au sein du film a notamment pour but de nous faire réfléchir sur notre propre cas. Les Na’vis vivent dans le respect de la nature tandis que nous, Humains, ne cessons d’extraire les ressources limitées (comme les énergies fossiles) de nos sols jusqu’à l’épuisement total pour ensuite aller voir d’autres planètes et reproduire le même schéma.

Les paradoxes de l'anticolonialisme d'Avatar

L’opposition entre les deux mondes techniques structurés par leur rapport à la nature – harmonie contre prédation – se traduit en un discours politique. Ce film dépeint un portrait néocolonialiste de l’Homme: il agit dans l’espace à la conquête de nouvelles ressources, de nouvelles terres. Dans Avatar, Miles déshumanise les Na’vis et use de la force pour tenter de les décimer afin de bénéficier des ressources souhaitées. L’éthique est mise de côté pour un enjeu politique et économique. Ainsi, par analogie, les militaires sont pour les Na’vis ce que les conquistadors espagnols ont été pour les Indiens d’Amérique, sauf que dans Avatar ce sont les Na’vis qui remportent la guerre.

Le film est clairement fait de manière que le spectateur se place dans le camp des Na’vis. En effet, dès les premières images et les premiers sons du film, le spectateur se met aussitôt dans la peau de celui qui parle, Jake. Ainsi nous allons suivre tout au long du film le héros, vivre les mêmes expériences. Par exemple, à l’arrivée sur Pandora, cette planète nous est présentée à nous comme à Jake. Nous allons donc, au fil de l’œuvre, tout comme Jake, effectuer cette transition du Haut vers le Bas et nous placer dans le camp des indigènes et nous positionner contre ce néocolonialisme auquel nous faisons face. C’est ainsi qu’Avatar est un film qui se veut ouvertement anticolonialiste.

Cependant, cette position peut paraître particulièrement curieuse si on réfléchit au statut même du film. Comment peut-il louer un rapport animiste à la nature, alors qu’il se présente économiquement comme un produit industriel, destiné au marché de masse, faisant de sa technique l’un de ses principaux arguments de vente ? Il est amusant de constater que les technologies du film ressemblent davantage aux modèles 3D et simulations informatiques que l’on aperçoit dans les vaisseaux d’en Haut, plutôt qu’aux arcs et flèches emblématiques du peuple Na’vi.

Reste que toute cette technique vise à revivifier le « sense of wonder » de la science-fiction et produire le sentiment d’un monde naturel à protéger. Mieux encore, la technologie même de l’avatar possède son double dans la technique magique de transsubstantiation des âmes qu’utilisent les Na’vis dans la scène finale pour donner à Jake un véritable corps de Na’vis et lui permettre de rejoindre la. Le cinéma de Cameron viserait-il la même magie : donner une âme à ce qui ne sont initialement que de vulgaires modèles 3D ? Si l’on estime le pari réussi, alors il faudrait considérer que la technique même du film réussit le pont entre les deux mondes.