Elysium : un blockbuster au dénouement paradoxal

Lukaz Le-Pemp, Thomas Longy

Elysium est un film dystopique cyberpunk réalisé par Neill Blomkamp et sorti au cinéma durant l’année 2013. Son action se situe en 2154 sur une Terre devenue surpeuplée où la criminalité règne. Les personnes les plus riches se sont, elles, exilées sur une station en orbite autour de la Terre nommée Elysium.

Nous avons donc un film construit autour de la division entre deux mondes : le monde du haut, représentant la partie dystopique, et le monde du bas, représentant la partie post-apocalyptique. Film d’action avant tout, Elysium mobilise cependant des éléments très politiques : le film montre l’accaparement des richesses par une minorité qui s’est évadée d’une planète ravagée, il évoque le cynisme des puissants face au sort des réfugiés et décrit in fine une révolution qui met fin aux inégalités. La structure narrative est cependant très curieuse puisque le film se centre autour de deux personnages absolument symétriques de transfuges, les seuls à passer d’un monde à l’autre, chacun représentant le pôle du bien et du mal, alors que leur mode d’action se ressemble..

Haut / bas

Bien que ce film semble n’être qu’un des nombreux blockbusters de science-fiction très à la mode dans les années2000 à2010, sa structure duelle se prête bien à une analyse par la méthode des graphes.

La première chose que l’on peut noter est que pour une œuvre de science-fiction, Elysium présente très peu de personnages scientifiques. Les rares qui existent sont renvoyés au statut de simples figurants. La majorité des personnages que l’on qualifie de scientifiques ne sont que des médecins ou des infirmiers(ères), aucune mention n’est faite de «chercheur». En réalité, la Science n’est ici représentée qu’au travers de la Technique. Il n’y a pas de scientifiques décrivant l’ensemble du système ou encore d’enseignants. Cette absence de la science s’explique par le fait que les technologies présentes sont extrêmement avancées et développées. La recherche ne semble plus nécessaire. Néanmoins, cette absence n’impacte pas l’œuvre, puisque la Politique et la Technique portent parfaitement ce film.

Ainsi, la dualité principale se trouve entre les personnages terriens, assimilés à la Technique, et les citoyens d’Elysium assimilés quant à eux, à la Politique. Ainsi, se dégage l’opposition du haut et du bas. Le monde du bas étant très pauvre, marqué par une criminalité galopante. La majorité des habitants n’a pas d’autre choix que de se débrouiller pour survivre. Prenons l’exemple de Julio, contraint de voler pour vivre ou bien celui de Spider, hacker/chef d’un réseau de passeurs envoyant des immigrés tenter leur chance dans l’espace, ou encore Frey, infirmière mais ne pouvant sauver sa fille sans une technologie supérieure. Les fonctions techniques dominent ici, associées à la survie ou à la roublardise.

A l’inverse, le monde du haut représenté par Elysium présente des personnages riches, vivant dans le luxe et l’abondance. A la manière du transhumanisme, ils bénéficient d’une forme de vie quasi-éternelle, grâce à une technologie médicale très avancée. Les habitants du monde d’en haut dirigent d’une main de fer les populations sur Terre. Les fonctions politiques dominent parmi les personnages: que ce soit Carlyle avec ses employés dans son usine, ou bien la secrétaire Delacourt et sa politique brutale de lutte contre l’immigration. On retrouve ainsi, de manière très distincte, cette opposition du haut et du bas sur le graphe.

Deux univers techniques

L’opposition se remarque principalement par la différence de technologie à disposition des habitants. Elysium possède des technologies très avancées. Rien que la station constitue déjà un exemple de cette puissance, mais d’autres domaines sont au summum de leur développement, notamment en défense ou en médecine. Le monde du haut assoit ainsi sa domination politique vis-à-vis du monde du bas par sa supériorité technique. Ainsi le contrôle des droïdes policiers apparaît comme une clé de l’autorité politique.

Mais la technique la plus marquante relève de la médecine: grâce à leurs «cocons» les habitants accèdent à l’immortalité. La station Elysium représente en quelque sorte une utopie technologique transhumaniste, un monde futuriste avec des voitures volantes, des intelligences artificielles au service de l’humanité, et des progrès dans les soins, augmentant quasi-indéfiniment la durée de vie des Hommes. Si seule Elysium existait, le monde serait «parfait».

Mais bien évidemment, un contraste énorme apparaît avec le monde du bas: la Terre. La technique humaine est basée sur la ruse et l’habileté de chacun plutôt que sur la machine et les automatismes. On retrouve bien entendu des technologies avancées mais qui, cette fois, sont tournées contre les habitants. Ces derniers luttent ainsi contre une puissance qui les dépassent. Sur Terre, les seuls vaisseaux sont ceux de riches citoyens d’Elysium exposant leur fortune avec des navettes de grandes marques (Carlyle possède un vaisseau de la marque Bugatti). Par conséquent, très peu de véhicules sont réellement présents sur Terre. On peut en apercevoir ici et là dans l’œuvre mais toujours dans un piteux état. La médecine, quant à elle, semble être, à l’instar des moyens de locomotions, rustique avec des hôpitaux surpeuplés. Enfin, en termes de défense, les terriens s’approprient et détournent les armes d’Elysium en récupérant des fusils ou des exosquelettes pour combattre.

Une politique inhumaine

Les différences au niveau politique sont flagrantes. Sur Terre, il n’existe pas de structure propre: c’est une anarchie totale. L’autorité est soit dispensée par des groupes armés et des gangs comme celui que mène Spyder, qui est le personnage terrien le plus politique, soit bien sûr par Elysium via ses droïdes. Peu d’habitants semblent vouloir se rebeller et la plupart acceptent leur sort.

On voit très bien, également sur le graphe, que la politique est l’affaire d’Elysium. En effet, l’ensemble des personnages catégorisés comme politiques sont du monde du haut. Celle-ci est bien plus structurée que sur Terre. Le Gouvernement semble être une République similaire aux grandes nations de notre monde. Le Président est peu présent dans l’œuvre, on suit davantage la secrétaire de la défense Delacourt. On retrouve dans son comportement une autorité et une influence très importante sur Elysium et sur la Terre. En effet, sa politique contre l’immigration est brutale et inhumaine, comme nous pouvons le constater sur l’illustration. Cette dernière représente la destruction de deux vaisseaux terriens se dirigeant vers Elysium, remplis de femmes et d’enfants, sur ordre de Delacourt. Nous assistons ainsi à la mort de quarante-six personnes innocentes.

Delacourt traite donc chaque tentative d’immigration comme une réelle menace pour la sécurité d’Elysium et se justifie ainsi de ces actes devant le Président. Elle cherche à protéger leur mode de vie et conserver le monopole de la technologie. De plus, lors de la confrontation entre Delacourt et le Président Pattel au sujet des immigrés abattus, nous voyons que ce qui dérange le plus le Président n’est pas l’issue fatale des migrants, mais la méthode employée. Ainsi, bien que les idéaux partagés par ces deux protagonistes soient les mêmes, nous observons une différence dans la manière de mettre en œuvre la conservation de leurs privilèges. De ce fait, dans ce film, la politique reste présentée comme uniformément mauvaise. La fonction politique se ramène à la séparation des mondes et au maintien, par la violence, des inégalités.

Des personnages transfuges aux trajectoires symétriques

Au milieu de cette division, deux personnages sortent du lot par leur ressemblance et leurs liens aux deux mondes: Max et Kruger. Les deux sont originaires du monde d’en bas. Max travaille dans l’usine de Carlyle jusqu’à ce qu’un accident ne le fasse renvoyer. Malade, il ne lui reste que trois jours à vivre: il décèdera s’il ne parvient pas à gagner Elysium. Sa motivation première est donc sa propre survie. Il accepte ainsi l’offre de Spider afin de pouvoir gagner Elysium sitôt qu’il aura accompli sa mission consistant à voler un code à Carlyle.

En parallèle, l’agent Kruger est introduit comme l’un des principaux antagoniste. Kruger est un soldat d’Elysium vivant sur Terre en tant que mercenaire et arme du Gouvernement. C’est notamment lui qui est chargé d’abattre les vaisseaux remplis de migrants (cf. illustration). Mais à la suite de cette mission, l’agent Kruger est démis de ses fonctions, puis désavoué par le Gouvernement qui l’a mandaté. Il n’apparaît alors que comme l’instrument technique, chargé des basses besognes, d’une politique, marqué par l’absence de valeurs humaines. Il aura néanmoins l’occasion d’être réhabilité par la secrétaire Delacourt, lorsque celle-ci fomente un coup d’Etat.

Kruger se voit alors missionner pour retrouver Max. Les deux personnages présentent une symétrie assez forte. En effet, tous deux perdent leur emploi du fait des manigances des personnages politiques du monde d’en haut et sont en quête pour retrouver leur «vie passée». Leur motivation est donc – à ce stade – purement personnelle. De plus, ils sont tous les deux équipés d’un exosquelette, ce qui leur permettra d’atteindre leurs objectifs plus facilement et sûrement plus rapidement. Ainsi, comme nous pouvons le voir sur le graphique, ils ont entre eux un lien très fort.

Par la suite, c’est lorsque les deux personnages se retrouvent et comprennent que Max contient dans sa tête le code source d’Elysium – permettant de réinitialiser la station et ses protections – qu’un lien idéologique se fait entre eux. En effet, ces derniers vont alors chercher à mener leur propre révolution. Kruger, qui a été durant une grande partie de sa vie l’instrument de Delacourt – on voit d’ailleurs un lien fort avec elle sur le graphe -, veut prendre le contrôle d’Elysium et régner en tyran sur ce monde. Max de son côté, veut permettre à tout humain de devenir un citoyen d’Elysium, afin que ceux-ci puissent avoir accès aux mêmes ressources que les autres. Alors, Max pourra par la même occasion sauver la fille de Frey, en la soignant.

C’est lors du troisième acte, qui se passe entièrement sur Elysium, que Kruger mène son putsch. Il se libère du contrôle de Delacourt en l’assassinant. Dans ce même temps, Max se libère de son instinct de survie. En effet, lui, qui dans un premier temps voulait uniquement sauver sa propre vie et ses intérêts personnels, décide de se sacrifier pour tous les autres. Cela constitue un changement radical dans sa façon de valoriser la vie d’autrui. C’est ainsi que lors d’un ultime affrontement, Max combat son «personnage miroir». L’opposition de ces deux protagonistes, chacun le reflet de l’autre, illustre à merveille un principe de neutralité de la technologie: les deux utilisent le même arsenal technique, dont la valeur ne dépend que des intentions de son utilisateur. La technique est vue comme un simple outil, sans valeur propre, susceptible d’être utilisé indifféremment pour le bien ou le mal. Utiliser un exosquelette semble bénéfique pour Max mais mauvais quand Kruger fait de même.

Un happy-end paradoxal

Cette vision des techniques nous laisse avec une impression d’absurdité, lors de la résolution finale: lorsque l’entièreté des habitants de la Terre deviennent citoyens d’Elysium et ont donc accès à ses technologies, on se demande clairement pourquoi celles-ci n’ont pas été dès le début partagées. En effet, si elles étaient disponibles pour tous sans contraintes, indépendantes du monde social qui les a engendré,. Elysium avait donc largement la capacité de soigner tous les humains. Alors pourquoi ne pas l’avoir entrepris? Par avarice, répondra le film. Mais l’avarice ne se fonde ici sur aucune rareté de la ressource, sinon celle qu’elle introduit elle-même arbitrairement. Nous avons donc un paradoxe dans ce happy-end: la technologie présentée comme abominable devient en quelques secondes une aubaine dans les mains des bonnes personnes.