Le promesse du Metaverse : allons-nous tous plonger en réalité virtuelle ?

Léo Chaillard, Sébastien Doutreluigne

Imaginez un monde dans lequel il est possible d’interagir avec des personnes du monde entier, à n’importe quel moment de la journée et dans l’endroit de votre choix. C’est un monde où vous pouvez choisir qui vous voulez être et ce que vous voulez faire. Certaines entreprises se sont données pour défi de créer ce monde utopique, appelé Metaverse. C’est notamment le cas de Facebook qui a décidé d’investir dans le projet, mais aussi de Nike, Roblox, Niantic, Microsoft, Epic Games qui se sont eux aussi lancés dans la compétition.

Le mot Metaverse est composé du préfixe « meta » (« après » en grec) ainsi que du mot « universe » (univers). Actuellement, il fait référence à la représentation d’un monde virtuel 3D hautement immersif dont l’objectif est de jouer, travailler et entretenir des activités sociales. L’origine du terme Metaverse provient d’un roman de science-fiction écrit en 1992 par Neal Stephenson : Snow Crash. Il y est décrit comme un monde 3D habité par des avatars de personnes réelles. Il n’y a pour l’instant aucune définition universelle, c’est plutôt un terme ambitieux pour un monde numérique futuriste, s’hybridant avec le monde réel.

Le Metaverse à portée de main

La vision du Metaverse représentée dans des fictions populaires telles que Ready Player One ou plus récemment Free Guy a, au cours des années, inspiré de nombreuses entreprises à franchir le pas et à se mettre à développer leurs premiers mondes virtuels. Nous pouvons déjà recenser plusieurs projets qui relèvent du metaverse.

Facebook, désormais Meta, a décidé de se lancer dans la création d’une plateforme collaborative de réalité virtuelle, nommée Horizon Workrooms dont l’objectif serait d’améliorer les conditions de travail à distance1. Sur cette plateforme, il est possible de participer à des réunions virtuelles, écrire sur des tableaux blancs interactifs, réaliser des présentations, faire un partage d’écran ou encore recréer son environnement de travail dans un monde virtuel.

Un autre projet analogue est Nikeland, nom du monde virtuel créé par Nike en collaboration avec Roblox, une plateforme de création de jeux en ligne par des amateurs à l’aide d’outils simples2. Nikeland se veut être un monde immersif dans lequel les utilisateurs participent à des jeux de sports, se lancent des défis compétitifs ou encore créent un avatar…avec exclusivement des vêtements et accessoires de la marque Nike. Pour jouer, les joueurs utilisent l’accéléromètre de leur smartphone afin d’enregistrer leurs mouvements physiques et ainsi contrôler leur avatar en ligne, un peu à la manière du fonctionnement de la console de jeux Nintendo Wii.

VRChat est quant à lui un véritable réseau social en réalité virtuel. Sorti en2017, Il est actuellement le plus connu et utilisé dans son domaine. Il offre de nombreuses possibilités aux 4 millions de joueurs inscrits sur la plateforme. Ils peuvent se déplacer dans différents mondes, discuter, jouer à des jeux multijoueurs traditionnels et tout cela aux côtés de personnes du monde entier. De nombreux avatars sont disponibles, tels que des personnages de fictions et d’animés connus ou des avatars 3D entièrement personnalisés.

Pour l’entreprise de jeux vidéo Niantic, le Metaverse ne doit pas être conçu comme échappatoire à la réalité3. Même s’ils avouent volontiers qu’un Metaverse tel que décrit dans la saga Ready Player One est technologiquement attractif, quitte à altérer la réalité, ils visent plus des applications de réalité augmentée, pour améliorer le quotidien humain sans le remplacer. En construisant un «Metaverse du monde réel», les hommes continueront, dans cette vision, à entretenir des relations en face à face, plutôt qu’à distance. Niantic a fait une première démonstration de ces concepts au travers du fameux jeu mobile Pokemon Go, une vraie rencontre entre le physique et le numérique. C’est également dans cet esprit qu’ils se sont mis à développer des lunettes intelligentes de réalité augmentée rendant le monde perçu plus malléable: cette fois, les pokémons marcheraient vraiment à nos côtés.

Le Metaverse a réellement pris de l’ampleur le 29 octobre2021 lorsque Facebook s’est rebaptisé Meta, référence évidente au Metaverse, sujet sur lequel l’entreprise travaille depuis quelques années. Meta a publié une vidéo dans laquelle le PDG Mark Zuckerberg déclare: «Je pense que le Metaverse est le prochain chapitre d’Internet.» Meta donne une définition simple: «un ensemble d’espaces virtuels où vous pouvez créer et explorer avec d’autres personnes qui ne sont pas dans le même espace physique ou environnement que vous.». Visualiser et interagir avec des plans 3D, faire du sport avec d’autres personnes présentes au travers de leur avatar, une sensation de présence (expressions faciales, langage corporel…) ainsi qu’un espace privé accessible à n’importe quel moment; celles-ci sont les grandes promesses de Meta quant à leur futur metaverse. Ils annoncent impacter 1 milliard de personnes dans la prochaine décennie, tout en rassurant leur public de leurs intentions responsables4.

Technologies inachevées

Nous avons donc déjà de nombreuses propositions qui feraient rêver n’importe quel amateur de jeux vidéo. Mais pouvons-nous, en2022, d’ores et déjà envisager plonger dans une réalité virtuelle complète? L’écart entre les annonces fracassantes des vidéos promotionnelles et la réalité des technologies demeure cependant important. Non seulement les interactions doivent être convaincantes, mais il faut aussi déployer des masses de capteurs pour assurer la conversion fluide, qui est promise, entre les situations réelles et leur double simulé.

Après presque une année, les lunettes de réalité augmentée annoncées par l’entreprise Niantic ne semblent toujours pas prêtes de voir le jour. Celles-ci seraient, entre autres, encore bloquées par l’éclairage extérieur trop lumineux, ainsi que la consommation d’énergie. En outre, leur objectif de créer une carte du monde en 3D actualisée en temps réel, semble encore loin. En ce qui concerne Nikeland, ce monde virtuel qui se veut être un Metaverse n’est pas encore accessible par l’usage d’une quelconque technologie de réalité virtuelle. Il n’existe qu’à l’état de concept, présenté dans les vidéos promotionnelles.

On peut aussi penser aux difficultés rencontrées par Microsoft pour la mise en service des lunettes de réalité augmentée IVAS développées pour l’armée: batteries trop lourdes, manque d’efficacité sous la pluie, champ de vision nocturne trop réduit… La promesse initiale de passage fluide des environnements numériques aux situations réelles a bien du mal à se concrétiser. Ainsi, Microsoft s’est restreint à déployer Microsoft Mesh, une plateforme de travail collaborative dans laquelle il est possible de travailler ou d’organiser des réunions à distance dans l’objectif de rendre le travail plus vivant.

Espérances déçues

L’écart est tel entre promesses et réalisations que les nombreuses vidéos de Metaverse proposées par ces entreprises peuvent parfois sembler relever de la parodie. Si les aspects commerciaux sont illustrés, les réels progrès technologiques sont peu mis en avant, ces derniers se reposant plutôt sur des acquis que de vrais avancements.

De plus, le Metaverse est un sujet qui pose de nombreuses questions éthiques et juridiques. Meta s’est engagé à investir 50 millions de dollars afin d’apporter des réponses à ces craintes5. La firme a promis de consulter des partenaires industriels, des groupes de défense des droits civiques, des organisations à but non lucratif, des institutions étatiques et universitaires, afin de construire un Metaverse «responsable».

De fait, Meta est connu dans le monde entier pour son réseau social Facebook et les nombreuses controverses liées à l’utilisation de nos données personnelles dans l’objectif de vendre des publicités ciblées. Alors que Meta avait annoncé l’abandon de ses systèmes de reconnaissance faciale, la firme est finalement revenue sur sa décision en annonçant que cela ne s’appliquerait pas pour son Metaverse. En outre, la réputation de Facebook quant aux récoltes de données peut laisser sceptique quant à la direction que cela peut prendre dans un Metaverse.

Pourquoi Facebook engagerait-il des sommes colossales dans la construction d’un monde de réalité virtuelle, inspiré de la science-fiction? Il s’agit manifestement, à leurs yeux, de construire les nouvelles infrastructures des activités en ligne, destinées à terme à remplacer l’internet actuel. Ainsi, nous passerions d’interactions majoritairement textuelles, à des formes d’interaction en présence, par la combinaison d’avatar 3D et de réalité augmentée. Cette infrastructure pourrait englober l’ensemble des activités humaines, des loisirs en passant par l’éducation, le travail et la santé. Si les contenus ne seront pas fournis par Meta, on peut supposer que la maîtrise de l’infrastructure, ainsi que des identités numériques pour l’ensemble des services associés, pourrait rapporter très gros.

Reste que les metaverses proposés actuellement ne sont encore que des expériences anecdotiques, qui ne sont pas au niveau des investissements et des promesses. Les technologies mises au point sont encore trop peu crédibles. Au vu des difficultés tant théoriques, physiques que matérielles, plonger le monde dans une réalité virtuelle semble être un défi ambitieux pour les années à venir. Cependant, de réelles avancées ne semblent pas impossibles, vues les capacités d’investissement des firmes impliquées. Ainsi, les essais et échecs d’aujourd’hui pourraient être une porte ouverte sur le Metaverse de demain.


 

  1. Lilia, « Facebook lance Horizon Workrooms pour améliorer le travail à distance », realite-virtuelle.com, Août 2021(https://www.realite-virtuelle.com/facebook-lance-horizon-workrooms/)
  2. Valentin Cimino, « Nikeland : Nike s’associe à Roblox et dévoile propre métavers », Siecle Digital, 22 Nov. 2021 (https://siecledigital.fr/2021/11/22/nikeland-metavers-nike-roblox/)
  3. Mathilde Rochefort, « Niantic : des lunettes de réalité augmentée en approche », Siecle Digital, 5 Avr. 2021 (https://siecledigital.fr/2021/04/05/niantic-lunettes-realite-augmentee-teasing/)
  4. Casey Newton, « Facebook’s CEO on why the social network is becoming a metaverse company », The Verge, 22 Jui. 2021 (https://www.theverge.com/22588022/mark-zuckerberg-facebook-ceo-metaverse-interview)
  5. Jonathan Greig, « Facebook investit dans le développement de métavers « responsables » », ZDNet, 28 Sep. 2021 (https://www.zdnet.fr/actualites/facebook-investit-dans-le-developpement-de-metavers-responsables-39929895.htm)
  6. Matt Wille, « Meta will continue to use facial recognition technology, actually », Input Mag, 4 Nov. 2021 (https://www.inputmag.com/tech/meta-will-continue-to-use-facial-recognition-technology-actually)