Moreno Baptista, Remi Trupin
Comme tant d’autres films de science-fiction, Oblivion (Joseph Kosinski, 2013) sépare l’humanité en deux classes, deux mondes conflictuels, où celui du haut domine l’univers du bas. Si dans ces œuvres, on suit très souvent des personnages du « monde inférieur » qui ont l’intention de vivre dans le monde supérieur et luttent pour réaliser ce rêve, Oblivion présente une configuration beaucoup plus originale. Tout est inversé : non seulement, on suit un personnage venu d’en haut, mais les personnages du bas ont l’intention de continuer à y vivre et à reconstruire leur propre monde ! Ainsi, le film présente une variation particulièrement intéressante sur la structure du monde divisé, relié par des personnages « transfuges » passant d’un monde à l’autre, pour célébrer une humanité qui aime ses origines, en l’occurrence la terre, et souhaite y vivre pour toujours.
L’histoire d’Oblivion se déroule en 2077. Jack Harper, Tech 47, incarné par Tom Cruise, est chargé d’entretenir des drones sur la planète Terre, dévastée par une guerre contre les extraterrestres, il y a 60 ans. Les humains survivants vivent sur Titan ou Tet, une colonie lunaire sur Saturne. Jack et sa femme Victoria se préparent à les rejoindre une fois leur mission achevée sur la planète.
Ainsi, dans Oblivion, la terre nous est présentée comme le monde « du bas », complètement ravagée par une atmosphère radioactive, alors que Tet représente le monde « du haut » et nous est présenté comme le lieu de refuge de l’humanité. Cette séparation des mondes est visible sur le graphe des relations entre les personnages. Les personnages du bas sont regroupés dans une partie du graphe et ceux du haut dans une autre partie, avec Julia comme pont qui sépare et relie les deux mondes exerçant aussi une énorme influence sur les décisions et les motivations de celui-ci. Elle possède sur le graphe son alter ego, avec la figure de Malcolm Beech, qui appartient au monde du bas et se situe, lui aussi, à l’interface des deux mondes. L’un et l’autre représentent l’antagonisme principal : Malcolm a toujours eu l’envie d’aller dans le monde supérieur, non pour y vivre, mais pour le détruire, justifiant ainsi le désir de l’humanité de rester sur terre.
Tech 47 est l’épicentre du graphe, il est celui que l’on suit tout au long du film. Il appartient au monde du haut, il a une belle femme, ils travaillent ensemble et forment une bonne équipe, ils rejoindront bientôt le reste de l’humanité sur Titan. Mais Tech 47 commence à avoir des souvenirs fragmentés de son passé, qui nourrissent une nostalgie pour la terre et et une curiosité qui grandit chaque jour. Tech47 a aussi des rêves récurrents où lui et une belle femme se tiennent en haut de l’Empire State Building, avant la guerre. Une femme qu’il n’avait jamais vue auparavant.
En mission, Tech 47 est témoin du crash d’un vaisseau spatial d’avant-guerre. En visitant le site du crash, il trouve parmi les débris une femme qui ressemble à celle qu’il voyait dans ses rêves. Tout ce que Tech 47 savait jusqu’à présent sur son monde est remis en question. Mais, avant même de rencontrer la femme de ses « rêves », il s’interrogeait déjà sur ses origines. Il ressentait un lien fort avec la terre et les objets qu’il y trouvait. Tech 47 perd son goût pour le monde du haut aseptisé et échange tout ce qu’il possède pour la terre, complètement dévastée, jusqu’à choisir la voie la plus extrême pour sauver la terre.
Ainsi, nous finissons par comprendre avec Tech 47 que l’opposition des deux mondes n’a pas le sens qui lui était initialement attribué. Sur la terre subsistent quelques résistants humains, qui s’opposent aux entités venues du ciel, qui sont en réalité des robots du Tet. Ainsi, le monde des robots domine celui des humains : ils ont détruit la lune, puis ont pillé les ressources disponibles sur terre.
A la fin du film, le rapport de force entre les deux mondes s’inverse et le monde des humains triomphe de celui des robots, grâce à une sorte d’attentat suicide mené par Jack et Malcom. Contrairement à nombre d’œuvres construites sur la division des deux mondes, le film ne prône pas une forme d’acceptation mutuelle, mais résout la division par la destruction totale d’une des deux parties.
On remarque ainsi une différence très nette de niveau technologique entre les robots et les survivants humains. Les drones possèdent un scan laser leur servant d’analyser une présence ennemie, mais aussi l’environnement extérieur. Ils sont équipés de mitraillettes multidirectionnelles, des roquettes, un dispositif de vision nocturne et un booster de déplacement. En face, les humains sont équipés d’armes de plus petit calibre, moins modernes, qui semblent même rafistolées.
Durant les scènes de combat, on remarque que les drones commencent par scanner leurs cibles puis l’exécutent si le programme reconnaît celles-ci comme ennemis. Mais ce programme créé par le Tet possède néanmoins une faille. Il est conçu pour éliminer toute présence humaine. Or lorsque Jack Harper Tech 49 se rend compte de la vérité sur le monde qui l’entoure, les drones ne l’attaquent pas, ils le considèrent toujours comme un clone fabriqué par le Tet plutôt que comme un humain.
Au final, deux visions de la technique s’opposent. Si les robots sont dotés d’une technologie nettement supérieure, fondée sur l’automatisation et le calcul, les humains déploient un autre registre technique, certes plus low-tech, mais qui laisse sa place à des formes de bricolage et d’improvisation qui se révèleront supérieure pour trouver la faille logique dans les dispositifs automatisés.
Au-delà de l’opposition politique à la Terminator des résistants contre les robots, l’enjeu principal du film tient à un questionnement sur l’identité et le clonage. Si le Tet a produit en série des clones de Jack pour mener des opérations sur terre, pour profiter de l’adaptation des humains à leur environnement, les clones développent cependant des formes d’individualité.
Tech 47 vit ainsi dans un monde factice, avec son couple aux sentiments fabriqués, avant que le soupçon ne s’installe, un peu à la manière de Truman Show. Dans l’une des scènes clés du film, Julia et Tech 47 sont dans une petite cabane en train de profiter d’une musique relaxante. Tech 47 prétend n’être rien de plus qu’un clone du vrai Jack Harper. Mais Julia n’est pas d’accord avec lui : bien qu’il ne soit qu’un clone, il a des souvenirs du vrai Jack ; s’ils disparaissaient tous les deux, il ne resterait que leurs souvenirs. Cette scène amène à penser que Tech 47 est aussi le vrai Jack.
En effet, dans la scène précédente, Tech 47 a trouvé un autre clone de Jack Harper et il est possible de remarquer une légère différence entre les deux : l’un semble être plus humain que l’autre. Pourquoi avons-nous ce sentiment ? Qu’est-ce qui différencie un être humain de son clone parfait ? Pourquoi Tech 47, bien qu’étant un clone, semble-t-il plus humain que son double ? Dans l’image ci-contre on peut voir que l’autre clone semble moins conscient, avec moins d’expressions faciales et par conséquent moins d’émotions, tandis que Tech 47 se montre plus affectueux.
On peut également observer des caractéristiques similaires dans le deuxième clone de Vika qui nous est présenté : ce clone semble moins humain, avec des expressions faciales étranges, qui évoque la vallée de l’étrange en robotique quand une figure humaine est reconnue comme artificielle.
Dans cette même scène, qui oppose les deux clones, on peut remarquer aussi que l’autre clone a le numéro 52 marqué sur son uniforme. Il s’agit du même numéro que l’on peut trouver sur l’uniforme de Tech 52, dans la dernière scène du film qui se déroule 3 ans plus tard. Or, il est entendu que ce clone a fini par vivre heureux pour toujours avec Julia. Le film essaie-t-il de nous dire que si le clone vit assez longtemps pour se souvenir de tout ce que le vrai Jack a vécu, il deviendra le vrai Jack ? Il suffit donc que le clone ait les sentiments, les motivations et les souvenirs de Jack pour qu’il soit le vrai Jack ?