Je suis une légende : la science mise à l’épreuve

Auteurs : Nassim Ben Massaoud, Bilal Ameur

Je suis une Légende s’inscrit dans le genre post-apocalyptique: l’humanité a été largement éradiquée par une épidémie et les gens se retrouvent transformés en zombie. Le film se concentre sur les efforts de Robert Neville, un scientifique survivant, qui cherche à libérer l’humanité du virus. Adapté du roman de Matheson, le film s’apparente à une revisite du thème de la robinsonnade. Contrairement aux films de zombies de John Romero, il ne s’agit pas de développer une critique de la société de consommation à travers les consommateurs aliénés du mall. Contrairement à The Walking Dead, il ne s’agit pas de reconstituer une communauté politique en faisant face à la part de violence de l’humanité. 

Je suis une Légende rejoue bien plutôt Robinson Crusoe: un héros solitaire qui doit non seulement œuvrer à sa propre survie, mais aussi trouver une forme de rédemption contre la solitude et les démons intérieurs qui le rongent. Le film met ainsi en lumière la fragilité de l’humanité. Si le monde post-apocalyptique met en lumière notre dépendance vis-à-vis de notre environnement et de notre technologie, ainsi que la façon dont une pandémie ou un autre événement catastrophique peut avoir des conséquences dévastatrices sur notre mode de vie, il présente cependant une vision positive et rédemptrice de la science. Le film joue le rôle de métaphore pour la lutte intérieure que chaque personne mène au cours de sa vie, et comment, dans les moments les plus sombres, il est possible de trouver l’espoir et de continuer à aller de l’avant. 

La centralité du protagnoniste : Robert Neville

La caractéristique la plus frappante des réseaux de personnages réside dans la centralité particulièrement marquée de Robert Neville. Il est présent dans la plupart des scènes et est le narrateur de l’histoire. Sa présence constante et son rôle de personnage principal permettent au spectateur de suivre son parcours et de s’immerger dans son univers. Neville est à la fois l’espoir et le sauveur de l’humanité, mais aussi l’intermédiaire entre les zones du graphe partagées entre zombies et humains. 

Une autre conséquence de cet isolement du héros est que celui-ci apparaît comme un véritable «homme à tout faire», qui cumule tous les rôles. Il est en effet le “Dr Robert Neville”, scientifique, mais également le ”Colonel Robert Neville”, militaire. Il cumule ainsi les trois dimensions scientifique, politique et technique. Son rôle ne se limite pas simplement à la recherche scientifique, mais il fait montre d’autorité et de sa capacité à prendre des décisions dans l’urgence. 

Il est ainsi amené à prendre plusieurs décisions vitales pour lui et l’humanité au cours de l’œuvre. Dans une scène marquante, il voit sa femme se faire contrôler positivement lors d’un test de l’armée. La procédure fait que toute personne contrôlée positivement doit être confinée avec les autres zombies, ce qui conduit à une mort certaine. Or, Neville, bravant les militaires qui braquent leurs armes sur lui, les oblige à réaliser un deuxième test, qui se révèle négatif. Dans la scène, il fait montre de courage et d’un immense sang-froid. Le héros scientifique qui sauve l’humanité est aussi doté d’une forme d’autorité légitime sans failles, qui pourrait rapprocher le personnage joué par Will Smith des héros scientifiques inflexibles de Jules Verne. 

Le film met en avant ses émotions et pensées grâce à des monologues intérieurs et des scènes de flashback qui permettent de mieux comprendre son passé et ses motivations. On découvre ainsi que Neville était un scientifique travaillant sur le virus avant l’épidémie, et qu’il est profondément affecté par la perte de sa femme et de sa fille. Sa quête pour trouver un moyen de mettre fin à l’épidémie est donc intimement liée à sa volonté de trouver une forme de rédemption et de faire quelque chose de positif pour l’humanité. 

La fin du film diffère du roman. Dans le film, Robert Neville parvient à trouver le remède à l’épidémie, alors que dans le roman Je suis une légende de Richard Matheson, dont le film est adapté, Robert Neville est tué par les zombies sans parvenir à trouver le remède. On peut donc constater que la science est plus mise en valeur dans le film où elle permet la rédemption de l’humanité, ce qui est l’objectif ultime du scientifique Robert Neville. A l’inverse, dans le roman, la science se révèle en échec. De plus, la science joue un rôle plus important dans le film, dans la mesure où elle est accompagnée de techniques complexes, qui sont au cœur du discours visuel du film et du merveilleux qu’il produit. 

Enfin, la centralité de Robert Neville est renforcée par le fait qu’il est le seul personnage humain présent dans le film, à l’exception de quelques flashbacks. Cette solitude accentue son isolement et met en avant sa détermination à continuer à se battre pour trouver une solution, même lorsqu’il n’y a plus d’espoir. 

Monde zombie et monde humain

Outre la centralité de Neville, le graphe apparaît marqué par une symétrie axiale particulièrement nette autour de Neville, avec d’un côté la partie zombie et de l’autre le côté humain. Chaque nœud possède son symétrique de l’autre côté: par exemple, le groupe de zombies peut être assimilé à la population évacuée. Cette symétrie s’explique par la structure narrative du film qui alterne entre les aventures de Neville après l’apocalypse et des flashbacks qui relatent sa vie dans le monde d’avant. 

Cette symétrie relativise pour partie l’opposition manichéenne entre zombie et humains. En première approche, il s’agit de deux groupes ennemis: les zombies sont présentés comme des êtres humains contaminés par un virus qui les a transformés en créatures assoiffées de sang et privées de conscience. Ils sont présentés comme une menace pour les humains encore en vie, qui doivent se cacher et se défendre contre ces derniers. La population contaminée par le virus, évoluant en zombies, est immédiatement écartée de la population générale. Cette quarantaine nous rappelle la récente pandémie du Covid-19. Le confinement impliqué par cette pandémie a pu nous donner l’impression de vivre dans un monde de fiction apocalyptique. Les décisions politiques ont eu un enjeu crucial pour la survie de l’humanité. L’œuvre dénonce ici l’égoïsme du gouvernement qui privilégie sa propre survie aux détriments du peuple, notamment lorsque le président ordonne le bombardement de sa propre population. 

Plutôt que de les opposer, la structure du film met en avant des similitudes entre les deux groupes. Ainsi, les zombies possèdent un leader qu’ils suivent tous dans le but de survivre contre les expériences humaines ou de se défaire de la menace de la lumière du jour qui les rend vulnérables. Les zombies ont donc mis en place une politique orientée par l’impératif de survie, totalement analogue à ce que l’on retrouve chez les humains. Ce parallèle entre humains et zombies est un classique du film de zombie, dans sa fonction de critique sociale. On peut ainsi se demander qui sont véritablement les “méchants” dans cette histoire puisque tous cherchent à survivre à un événement dans lequel ils n’ont aucune responsabilité. 

Un Robinson post-apocalyptique

A l’instar de Robinson Crusoe, l’essentiel du temps de Neville est consacré à l’activité technique nécessaire à assurer sa survie. Comme Robinson, il utilise son ingéniosité pour résoudre les problèmes qui se présentent à lui. De plus, Robert Neville doit faire face à la solitude extrême et à la perte de tous ceux qu’il connaissait avant la pandémie. Pour lutter contre la solitude, Neville a développé plusieurs stratégies: il parle à son chien, Sam, comme s’il s’agissait d’un être humain, qui est, au final, le quasi-personnage avec lequel il a le plus de relations dans le film. En parallèle, Robinson Crusoé a développé une relation avec une tortue, ce qui lui permet de maintenir une forme de contact social. Neville utilise son chien dans ses activités techniques, souvent lors de la chasse. Cela lui permet de développer sa relation avec ce dernier. Il a également créé un rituel quotidien qui lui donne une structure et une routine, comme faire du jogging chaque matin et passer du temps dans son laboratoire à essayer de trouver un moyen de guérir les zombies. 

Neville essaie également de maintenir une relation avec les zombies, même s’ils sont ses ennemis, en leur parlant et en essayant de comprendre pourquoi ils sont devenus ce qu’ils sont. Malgré ces efforts, Neville est toujours confronté à la dure réalité de la solitude et doit faire face à de difficiles épreuves émotionnelles. Comme avec Robinson, c’est là que la religion intervient et permet aux protagonistes de donner un sens à leurs vie et de leur apporter du réconfort et de l’espoir dans les moments difficiles. 

En effet, la robinsonnade ne se limite pas à la survie. Comme le roman d’origine de Daniel Defoe, la dimension religieuse est cruciale. Si Neville était déjà un personnage proche de la perfection dans sa vie précédente, à la différence de Robinson, le salut de l’humanité requiert en revanche son sacrifice. Smith rejoue ainsi une forme de rédemption quasi-christique où il se sacrifie pour les péchés de l’humanité. Neville doit alors faire un choix qui va à l’encontre de ses croyances et de ses valeurs, et qui pose la question de la valeur de la vie et de la place de l’homme dans l’univers. De plus, le sacrifice de Neville débouche sur une réflexion sur la religion et sur les enjeux éthiques liés à la science et à la technologie. Le titre de l’œuvre Je suis une légende décrit bien cette forme de transcendance autour de la figure d’un individu héroïque absolu qui cumule toutes les fonctions et vertus de l’humanité. Il représente le meilleur de l’humanité en un seul individu.