Auteurs : Mathilde Garcia, Martin Glodas, Mathilde Kuntz, Ahmed Noubli
Déjà vendu à plus de 280 millions exemplaires en mai 2021, Minecraft est l’un des titres les plus marquants de l’histoire du jeu vidéo. À l’origine développé par le suédois Markus Persson qui le publie sur son site en mai 2009, Minecraft est un jeu indépendant en monde ouvert, en génération procédurale. Son univers de bloc s’étend quasiment à l’infini. Les joueurs évoluent dans un monde constitué de différents “biomes” aux terrain, reliefs, climats et vies animales et végétales spécifiques. Son succès fait que le jeu a été racheté par Microsoft en 2014 pour 2 milliards de dollars.
Du jeu de survie initial, Minecraft a évolué vers un immense bac à sable numérique, l’équivalent d’un jeu de construction aux pièces infinies et aux rouages complexes. Les possibilités sont telles que les joueurs ne se contentent pas de reproduire des cités historiques, mais qu’ils profitent aussi des possibilités de programmation associées aux blocs de Redstone (une poudre rouge agissant comme un conducteur) pour simuler de véritables ordinateurs à l’intérieur du jeu. Récemment, dans une prouesse incroyable, le joueur sammyuri a recréé un ordinateur permettant de jouer à Minecraft, dans Minecraft !
Est-ce à dire que Minecraft pourrait devenir un instrument d’apprentissage où les joueurs pourraient apprendre non seulement l’histoire et la géographie, mais aussi la logique et la programmation ? Minecraft réaliserait-il cette promesse aussi vieille que le jeu lui-même d’apprendre en s’amusant ? Le projet MinecraftEdu incarne cet espoir. En 2016, Microsoft a publié une nouvelle version du jeu, dédiée à l’apprentissage : Minecraft : Education Edition. Cette version modifiée est pensée pour être adaptée aux besoins spécifiques des écoles. Elle ajoute dans Minecraft un serveur multijoueur, un portfolio propre à chaque élève dans lequel il peut stocker ses résultats sous la forme de photos, des blocs techniques nécessaires à la création d’exercices, un système d’administration pour les professeurs… Le jeu promet ainsi aux élèves d’accéder à un apprentissage immersif autour de thématiques variées. Mais si ce modèle d’apprentissage est adopté dans plusieurs dizaines de pays dans le monde, son efficacité n’en reste pas moins controversée. Minecraft peut-il être un modèle viable d’apprentissage par le jeu vidéo ?
Il ne fait aucun doute que le jeu possède des propriétés pédagogiques. Avec les jeux vidéo, on améliore nos compétences cognitives et notre imagination. Ils servent également d’outil de sociabilisation, avec les modes multijoueur par exemple. On peut également découvrir plein de notions sur des sujets variés en jouant tout seul chez soi : l’histoire avec Crusader King, l’informatique avec TIS-100, la géographie avec Geoguessr, l’économie avec Anno, l’urbanisme avec Sim City… Ici, la compréhension passe par l’action, avec des problèmes à surmonter, des énigmes à résoudre.
Apprendre en s’amusant, telle est la promesse des jeux ludo-éducatifs. En partant du jeu et en le redimensionnant pour l’éducation, MinecraftEdu semble se brancher sur l’objectif d’apprendre quelque chose sans perdre le caractère divertissant et la liberté proposés par la première version du jeu. La formule semble imparable : on conserve les propriétés du jeu vidéo favorisant l’éducation (propriétés cognitives, l’intérêt des élèves pour l’apprentissage, la résolution de problèmes) tout en y intégrant un contenu éducatif !
En faisant appel à la collaboration entre joueurs, à la capacité des élèves à résoudre des problèmes, à l’exploration d’un nouveau monde et en invitant l’élève à forger sa propre expérience, la première version de Minecraft en elle-même peut déjà être considérée comme éducative. Ainsi, si Minecraft Education repose sur les contenus de cours qui y sont transposés, il exploite d’abord le potentiel d’apprentissage du jeu d’origine : créer des circuits logiques par la Redstone, s’imprégner de l’Histoire à travers la recréation de monuments sont des pratiques qui existaient déjà chez les joueurs. Apprendre à jouer à Minecraft n’est-il pas déjà un apprentissage en soi ? De fait, le jeu exige des savoirs spécifiques, tout un apprentissage, la consultation de “tutos” : rien que savoir “crafter” une pioche s’apprend par le jeu. De la même manière, la réalisation des différentes constructions, l’élaboration des matériaux font appel à des procédés spécifiques qu’il faut apprendre à maîtriser.
La valeur éducative de Minecraft tient beaucoup à son aspect “bac à sable”, qui incite à se lancer dans la réalisation d’objectifs personnalisés. L’apprentissage n’est pas prescrit, il ne précède pas l’activité, mais il se construit dans la création. Dans l’horizon des jeux à apprentissage, Minecraft est d’abord et avant tout un jeu, laissant une très grande liberté d’action. Ainsi, entre 2016 et 2017, des chercheurs ont étudié à Montréal dans une classe d’école élémentaire dans le cadre d’un Enseignement Pratique Interdisciplinaire (EPI) l’application de Minecraft d’un point de vue éducatif. Il était proposé aux élèves de nombreux projets de construction allant de l’architecture de bâtiment médiévaux à la maquette de navires en passant par la création de gares ou la reconstitution du forum romain. Atteindre un objectif permet à l’élève de débloquer un badge de compétence (voir Figure 1), qui lui permet d’accéder à d’autres défis pour lesquels il gagne un bracelet à chaque niveau de compétence. Ces objectifs demandent aussi bien de l’entraide que de la recherche personnelle, et représentent une manière alternative d’apprentissage de l’histoire, des mathématiques ou d’informatique. En faisant appel à la créativité, aux collaborations élève-élève ou élève-enseignant et à la curiosité des élèves, la pratique de ce jeu « bac à sable » comme outil d’apprentissage rejoint la théorie du constructivisme : les élèves apprennent mieux lorsqu’ils construisent activement leurs propres savoirs dans l’activité.
Minecraft semble ainsi cocher toutes les cases du jeu vidéo à fort potentiel pédagogique. Comparons Minecraft et Adibou, auquel vous avez sûrement déjà dû jouer. Adibou est un jeu ludo-éducatif sorti en 1992 par la société Coktel Vision. Adibou est bien moins constructiviste que Minecraft. S’il laisse l’enfant apprendre à son rythme et en autonomie, dans un environnement favorable, il propose de véritables leçons, dans lesquelles le jeu apparaît comme une récompense du travail. La promesse d’éducation par les jeux dits “sérieux” vise à essayer de rendre attrayant un contenu pédagogique préalable au moyen du ludique. Mais ils ne permettent pas forcément au joueur de travailler en collaboration, de développer sa créativité ou encore son imagination.
Une leçon type dédiée aux élèves de primaire sur Minecraft Education suit généralement la forme suivante. L’élève est transporté dans un monde Minecraft possédant des propriétés intéressantes pour la leçon. Dans ce monde un personnage non jouable l’attend avec des instructions et des liens vers des vidéos explicatives. L’élève n’a pas forcément besoin de consulter ces vidéos, elles sont là en cas de besoin. Une fois que l’élève a bien assimilé les instructions, il peut se lancer dans l’activité. L’activité peut être découpée en plusieurs niveaux, ainsi à chaque niveau l’élève découvre de nouvelles spécificités sur la leçon et progresse.
Les niveaux quant à eux sont découpés en plusieurs phases. Généralement, il y a une phase qui a clairement un but pédagogique et une phase qui possède très clairement un rôle ludique. La phase pédagogique nécessite travail et réflexion de la part de l’élève. Pendant cette phase, l’élève devra se déplacer et réaliser des actions, ces actions peuvent être de répondre à un pnj, de réaliser des constructions, d’écrire sur un petit tableau dans le jeu, de taper des commandes, etc. La phase ludique quant à elle se rapproche plus du jeu pur et simple. Généralement ces phases alternent. Parfois ces deux phases sont indépendantes et la phase ludique est une récompense pour le travail accompli. Parfois les phases sont dépendantes et le travail effectué aura une influence sur la partie ludique : par exemple, durant la phase pédagogique, l’élève va devoir réaliser des formes géométriques précises en sachant que ces formes lui serviront ensuite de plateforme lors d’un jeu de survie, l’élève doit donc choisir avec soin l’orientation et l’emplacement de ces figures afin de pouvoir s’imposer lors de la phase ludique.
En ayant nous même testé certaines leçons, nous devons dire que l’intérêt est parfois évident. Le jeu nous permet vraiment de se plonger dans l’activité et l’expérience est assez immersive, il y a également un côté satisfaisant lorsqu’on passe d’un niveau à l’autre. Le jeu possède cependant ses défauts.
Outre les problèmes de configuration et la nécessité de connaître les mécanismes du jeu afin de réaliser certaines leçons, on se rend parfois compte de la supercherie de certaines leçons qui ne sont ni plus ni moins que du travail classique enrobé dans une couche de sucre ludique.
On comprend donc que malgré son potentiel Minecraft Edu illustre aussi les difficultés de l’apprentissage par les jeux vidéo. D’un côté, il ne fait aucun doute que les jeux développent des apprentissages. Cependant, l’utilisation en configuration scolaire classique, comme dans une classe de primaire, peut paraître inutilement contrainte et superflue.
Le jeu pourrait passer devant l’aspect éducatif, ce qui serait contre-productif pour les élèves et le professeur. Le but est-il d’apprendre des notions scolaires par Minecraft ou d’apprendre à jouer à Minecraft ? Mais si le jeu est trop rébarbatif, comme dans le modèle du “serious game” classique où le jeu sert à « faire passer la pilule » d’un contenu de savoir, à quoi bon employer un tel détour ? Si faire varier les modes d’apprentissage paraît une bonne pratique en soi, tout réserver au jeu est sans doute une erreur.
Bien entendu, l’attention des élèves sera certainement attisée au point de départ par nouveauté. Mais si le contenu du cours reste identique, même une séance d’histoire sur Minecraft peut devenir monotone ! Jouer est, selon Roger Caillois, une activité libre. En contexte scolaire, si le jeu devient une activité obligatoire, est-ce encore du jeu ? Et profite-t-on alors encore des vertus éducatives que l’on prête au jeu ? De plus, on sait également que les élèves viennent d’horizons très variés et certains peuvent tout simplement n’avoir pas d’attrait pour les jeux vidéo. Si on force ces élèves à travailler sur Minecraft par exemple, on transforme l’activité en une simple corvée.
Peut-on véritablement profiter en même temps du jeu et de l’apprentissage dans une situation scolaire ? Après avoir réfléchi à toutes ces limitations, il nous semble que ce type de programme pourrait être beaucoup plus adéquat dans un temps extra-scolaire comme un club au sein de l’école. Il serait dédié seulement aux volontaires, qui présentent un vrai intérêt pour les jeux vidéo et qui pourraient s’investir dans ce type de projet éducatif. On aurait également un encadrant formé et motivé, avec un groupe peut être plus réduit, ce qui favorise les conditions d’apprentissage.
Le modèle d’apprentissage n’est plus véritablement le modèle scolaire, mais celui du hobby, qui correspond bien à l’idéal constructiviste. L’apprentissage par Minecraft Edu, ou les jeux vidéo en général, n’est pas une solution magique. En revanche, il peut s’agir d’un outil particulièrement efficace s’il est pensé dans un contexte adapté, avec des participants volontaires et motivés, tout en gardant en tête les difficultés à généraliser ce type de pédagogie.