Antoine Billaud, Lucas Ziller
Alors que Facebook a annoncé sa grande mue en compagnie du « métavers », la science-fiction peut-elle nous donner des clés pour comprendre à quoi pourrait ressembler Méta ? Ready Player One, sorti en 2018, réalisé par Steven Spielberg et adapté du livre d’Ernest Cline, paru en 2011 est l’une des représentations les plus emblématiques des univers virtuels. Le film se déroule en 2045 : dans un monde délabré, les êtres humains se réfugient dans un autre monde utopique, virtuel, l’OASIS. L’œuvre met en scène l’usage de la réalité virtuelle et de son métavers par une société toute entière.
Wade Watts, le personnage phare du film, vit à Columbus dans l’Ohio dans une cité remplie de bidonvilles sales et entassés. Comme toute la population, Wade passe ses journées dans l’OASIS en se mettant un casque de réalité virtuelle sur la tête. Le monde virtuel, présenté comme idéal, fait oublier la misère du vrai monde. Nous pouvons alors nous demander quel message veut nous faire passer Steven Spielberg dans ce film ? La trajectoire du film est quelque peu contradictoire. Le métavers est encensé pendant la majeure partie du film, avant d’être critiqué, le film nous invitant à revenir au réel, si délabré soit-il. Quel est donc le regard de Steven Spielberg sur le métavers dans Ready Player One ?
Ready Player One possède une structure classique de films d’action ou de science-fiction. Le film s’ouvre avec la mort de James Halliday, le créateur de l’OASIS. Lors de sa mort, une vidéo de lui-même annonce l’existence d’une quête : le premier avatar qui saura récupérer les trois clés de ses trois épreuves recevra la propriété même de l’OASIS en récompense.
La quête principale définie, le film oppose « un grand méchant », défini par sa cupidité, aux « gentils », incarnés par un groupe d’amis, pour qui l’humanité est bien plus belle sans guerre et sans argent, mais avec de l’amour. A la manière des films hollywoodiens, le scénario ne fait pas dans la nuance. Cette structure manichéenne est particulièrement visible sur le graphe : Sorrento, le méchant, est en lien direct avec les héros. De plus, ces deux parties forment un noyau central, ce sont les personnages principaux.
Le méchant Nolan Sorrento possède une grande entreprise appelée IOI qui met tout en œuvre pour déceler les mystères des épreuves d’Halliday et obtenir les 3 clés. La méthode de travail de cette industrie pourrait être comparée au fordisme, mais avec des objets à la pointe de la technologie, puisque IOI possède la technique la plus moderne et sophistiquée du film. Les ouvriers appelés Sixers, travaillent à la chaîne en se relayant lors des contrôles des avatars afin de terminer les épreuves du jeu. Sorrento à un vrai rôle de politicien : il est là pour faire la loi dans l’OASIS. On peut remarquer sur le graphe que Sorrento possède deux collaborateurs techniques, qui exécutent ses commandements. Ce sont les méchants secondaires : l’une est F’Nale l’exécutrice du monde réel et l’autre est i-R0K l’exécuteur de l’OASIS. On voit par-là que la technique est l’instrument de la politique. Plus original, la politique est ramenée à l’économie et à l’entreprise. En effet, pour IOI et Sorrento seul le profit compte. S’opposent deux visions de l’économie : l’entreprise fordiste IOI contre la startup montée par les héros.
De l’autre côté, les gentils sont un groupe d’amis composé de Wade (Parzival), Samantha (Arth3mis), Toshiro (Daito), Helen (Aech) et Akihide (Sho). On pourrait les comparer à une start-up qui essaye d’aller détrôner le géant de leur domaine. Elle essaye de convaincre le monde que ce que font IOI est mal, car ils ne pensent qu’à s’enrichir, alors qu’eux veulent le bien de tout le monde, sans ambition de gagner de l’argent. De plus, ils veulent également améliorer l’OASIS. Leur objectif est en quelque sorte de reprendre le travail d’Halliday et Olden Morrow qui avaient créé leur startup bien avant eux. Nous assistons donc à une guerre entre deux types d’entreprises : le fordisme contre les deux startups.
Si les gentils ont le moins d’objets techniques à leur portée, ils possèdent cependant un vrai rôle technique dans l’histoire, comme on peut le remarquer dans le graphe. L’ingéniosité technique est utilisée pour combattre le mal : au contraire des méchants où la politique et l’économie dominent et oppriment la compétence technique.
A travers cette œuvre on peut observer des centaines de références culturelles, des années 60 à aujourd’hui, de Shining à Batman, de King Kong à Deadpool, de Star Wars à Harry Potter ou encore de Halo à Overwatch. Ce film est fait pour plaire à tout le monde et à toutes les générations. Qu’on soit fan de jeu vidéo ou de cinéma, adulte ou enfant, Spielberg essaye de séduire avec toutes ces références. Lors du visionnage, le décryptage des références devient un enjeu au moins aussi important que l’histoire du film.
Pourquoi mélanger autant de références ? Ces easter eggs jouent peut-être un rôle d’avertissement : ce monde délabré qu’on voit là est bientôt le nôtre. Si nous ne faisons rien pour la planète, c’est le futur qui nous attend, avec une terre au bord du chaos où notre seul refuge est l’OASIS virtuelle, créée par le surdoué de notre temps.
On peut remarquer que, pendant tout le film, la science est un peu oubliée. Cela peut paraître paradoxal étant donné le thème du film. Mais Spielberg n’a-t-il pas remplacé la science traditionnelle par « l’érudition des fans ». En effet, la pop culture sert d’instrument aux héros afin de résoudre les énigmes d’Halliday. L’une des rares figures scientifiques pourrait être le conservateur qui archive le journal d’Halliday, consacré à sa passion pour la pop culture et les jeux vidéo. Cet usage de la pop culture met sur un pied d’égalité personnages et spectateurs : tous deux doivent déchiffrer les références disséminées par le film. L’univers de Ready Player One est conçu pour être savouré par des « fans savants ». La pop culture est un point central de l’histoire, elle remplace le vide laissé par la science et sert le grand spectacle du film.
Au-delà de la célébration de la culture des fans, le point de vue sur la réalité virtuelle est cependant difficile à cerner dans cette œuvre. Spielberg ou Cline ne donnent pas une réponse univoque. Par un côté, certaines scènes font la critique d’une humanité qui a perdu le contact avec la nature, engloutie dans la technique, devenue cyborg. Les humains contrôlent un avatar dans un monde virtuel et ne réalisent rien dans le monde réel. Sans machines, leur monde n’existe pas.
Cependant, le métavers est présenté, dès le début du film, comme une réalité éminemment positive, en insistant sur l’écart entre le monde réel au bord du chaos et le monde utopique du métavers où tous les rêves sont possibles. Tout au long de l’aventure, ces techniques, la technologie ainsi que le monde virtuel qui est l’OASIS sont encensés. Ils sont survendus au public, tous les personnages du film sont contents de vivre dans ce monde. Tout le monde à un avatar et se rend tous les jours dans l’OASIS. C’est extraordinaire ce qu’a créé James Halliday, non ? On a là une image idyllique de la réalité virtuelle. La technologie doit nous émerveiller. La réalité virtuelle nous est présentée comme le paradis alors que la vraie vie est un enfer. Même les personnes qui marchent dans la rue du monde réel ont un casque sur la tête. L’humanisme est anéanti. Nous avons à la fois une critique très claire du monde dans lequel vivent les héros et une célébration de la technologie. Pourtant l’un et l’autre ne sont-ils pas l’expression d’une même réalité ?
Mais cette image du métavers est brutalement renversée à la fin, où les héros vont le critiquer et défendre l’importance de la vie réelle. D’un coup la réalité virtuelle n’est plus cool et devient presque un ennemi pour l’humanité. En effet, Wade décide de fermer l’OASIS, deux jours dans la semaine. La morale donnée est que la réalité est la seule chose qui soit réelle et qu’il est important de passer plus de temps dans le monde réel. Mais pourquoi cette morale ? Pendant deux heures la réalité virtuelle est extraordinaire jusqu’à ce qu’on nous dise que finalement la vie réelle est plus importante. Deux idéologies différentes nous sont alors proposées côte à côte. Pourquoi passer du temps dans la vie réelle alors que le monde est au bord du chaos ? L’humanité va-t-elle réparer les erreurs du passé en reconstruisant le monde ?
Une dimension religieuse entre aussi en jeu, dans la mesure où James Halliday est présenté comme le dieu du métavers. D’autant plus que le conservateur, alias Olden Morrow, garde en archive la vie d’Halliday comme une sorte de Bible. Halliday a créé une religion dont il est le dieu et à laquelle tout le monde se convertit et consacre sa vie. En mettant en avant un tel personnage, Spielberg parle-t-il de lui-même ou divinise-t-il une figure comme Steve Jobs ? En tout cas, James Halliday est le personnage qui représente le juste milieu : il est à la fois virtuel et pour la réalité, comme en témoigne son adage, « La réalité est la seule chose qui soit réelle. ».
On ne peut pas regarder ce film sans penser à Meta, anciennement Facebook. Avec les objectifs de Meta on pourrait penser qu’un monde virtuel comme l’OASIS pourrait exister dans le futur. En effet, l’objectif de Meta est de donner vie au métavers et d’aider les gens à se connecter, trouver des communautés et à développer des entreprises. Ce projet n’entraînera-t-il pas des problèmes politiques comme c’est le cas dans Ready Player One ?
Nous pouvons aussi nous demander si construire un univers comme l’OASIS serait légitime, surtout après la morale du film. D’après les objectifs de l’entreprise, la rencontre de personnes dans la réalité virtuelle est encensée. L’humanisme sera-t-il encore être placé de côté. Ne serons-nous plus que des machines dans le futur ? En tout cas, ce qui est sûr c’est que personne ne voudrait que Mark Zuckerberg soit le futur James Halliday.