Auteurs : Aurore Chappuis, Celia Leichtnam, Thomas Fridblatt
Ce 8 décembre 2022 avait lieu la fameuse cérémonie des Game Award récompensant les jeux de toutes sortes dans de nombreuses catégories. Le prochain jeu de la saga The Legend of Zelda : Tears of the Kingdom y décrocha le prix du jeu le plus attendu, comme son prédécesseur Breath of the Wild en 2016. Ce dernier décrocha même les prix du meilleur jeu de l’année et du meilleur jeu d’action en 2017, preuve d’un brillant succès, à la fois économique et critique.
Mais cette saga ne se limite pas uniquement à ces deux jeux, puisque cela fait déjà plus de 35 ans que les joueurs du monde entier se mettent dans la peau de Link, le héros au bonnet vert ayant pour mission de sauver le royaume d’Hyrule ainsi que sa princesse Zelda de l’antagoniste récurrent, le terrible roi diabolique des ténèbres Ganon. Cela donne naissance à une des plus grandes sagas d’action et d’aventure du jeu vidéo. Au cours de ces 35 dernières années, on peut remarquer que chaque opus produit par Nintendo fait l’unanimité : presque tous les jeux font partie des jeux les mieux notés, quelles que soient l’époque et la console !
Comment la saga peut-elle avoir aujourd’hui cette renommée et une telle adulation ? Comment réussir à faire à chaque fois un jeu différent qui demeure pourtant un peu le même ? Quels sont les éléments qui font l’identité de la saga Zelda ? Nous allons examiner cette question, si souvent soulevée, de l’identité de la série avec une méthode originale : la rythmanalyse. La méthode consiste à analyser les appuis sur les contrôleurs de jeux, sans forcément se référer à l’image. C’est comme étudier les jeux les yeux fermés. Les Zelda posséderaient-ils une sorte de signature rythmique au sein des jeux d’action-aventure, qui en feraient une expérience unique et reconnaissable entre toutes, en deçà de l’histoire ou des graphismes ?
La saga Zelda peut se définir comme une saga d’action/aventure. Cependant, en 35 ans d’existence, la définition d’action/aventure a bien évolué. Peut-on montrer grâce à la rythmanalyse que même si plus d’un quart de siècle s’est écoulé, ces jeux partagent une même et unique signature pouvant les distinguer des autres se partageant cette étiquette de genre ?
Pour cela, nous pouvons analyser deux graphiques :
Ce premier graphique résulte d’une ACP (Analyse par Composantes Principales). Ce type de graphique repose sur différents vecteurs comme la vitesse d’un joystick, la fréquence d’appuis sur les touches ou encore le nombre de touches utilisées. Cela permet donc de comparer les jeux sur différents critères typiques des jeux d’action aventure. On y retrouve les jeux de la Saga Zelda ainsi que différents jeux pouvant être catégorisés comme action/aventure. On peut constater que le graphique se partage en quatre parties :
– une en bas à gauche représentant les jeux 2D, qui possèdent une signature vraiment particulière due à l’absence d’usage des sticks pour s’orienter dans l’espace et à une sur-utilisation du D-PAD pour le déplacement
– une en bas à droite comprenant des jeux dont l’utilisation de combos est importante, ces jeux emploient plus de touches et sont marqués par une forme de complexité des appuis.
– une en haut à droite dont l’unique composant est HyperLightDrifter est un jeu très nerveux marqué par la fréquence des appuis et des mouvements sur les sticks.
– une grande partie s’étalant au centre et regroupant la majorité des jeux.
On peut remarquer que c’est dans ce groupe principal que l’on peut retrouver tous les opus 3D de la Saga The Legend of Zelda, malgré quelques différences qui peuvent s’expliquer par une évolution de la maniabilité (le déplacement en bateau dans The Wind Waker, ou encore l’open world sur Breath of the Wild qui vient amplifier le nombre de touches fréquentes nécessaires pour la praticité du jeu).
Ce graphique peut donc nous conforter dans l’idée que chaque jeu de la saga possède un rythme similaire, une fois constatée la différence majeure entre Zelda en 2D et 3D.
Ce deuxième graphique quant à lui est un tableau en deux dimensions représentant le nombre d’appuis par secondes en ordonnées et la vitesse des sticks en abscisse. Ici, les jeux Zelda sont représentés en bleu. On peut remarquer clairement que les jeux font partie d’une même zone où l’on peut retrouver des jeux comme Assassin’s Creed ou Abzu qui peuvent être considérés comme des jeux d’exploration. Voilà ce qui peut également nous servir de comparaison entre tous les jeux de la série The Legend of Zelda : le facteur exploration.
Quel que soit l’opus, il y a toujours comme élément récurrent d’explorer les recoins d’une vaste carte alternant avec des zones plus restreintes comme un donjon. Cette formule est renouvelée au travers des différentes itérations : nous retrouvons les plaines d’Hyrule, le royaume de Termina ou les cieux de Celesbourg. En somme, nous pouvons dire que ce facteur qui est si cher à la licence depuis sa création il y a 35 ans est un subtil mélange d’action et d’aventure où l’exploration joue un rôle primordial, une signature que les joueurs du monde entier connaissent.
Au fil des années, la série a su s’adapter à l’ère du temps en proposant des jeux modernes, toujours bien reçus par les joueurs. Notre épopée au sein d’Hyrule commence en 1986 avec The Legend of Zelda, sorti sur la NES. Ce jeu d’action-aventure nous emmène au sein d’un monde ouvert : une grande première pour l’époque ; les joueurs pouvaient découvrir à leur guise ce monde et ses personnages. Une liberté de choix offerte au joueur, que cela soit pour modeler sa propre aventure et avoir son unique expérience de jeu.
Une des spécificités de la plupart des jeux Zelda, est que le joueur n’est pas limité dans ses actions. En effet, s’il le désire, il peut directement affronter le boss final du jeu ou se balader librement dans Hyrule. Cette liberté offre une possibilité immense de jeu, que ce soit dans la réalisation des donjons, l’exploration des lieux, l’extraction exhaustive de tout ce qui est exploitable, l’attaque ou non des ennemis. Cette liberté a évolué au fil des éditions, en offrant toujours plus de lieux à découvrir pour le joueur. En effet, la série commence avec The Legend of Zelda, qui nécessitait environ 15 heures pour finir le jeu à 100 %, tandis que nous sommes à plus de 180 heures pour Breath of the Wild, le dernier né de la série.
La série Zelda repose également sur un “ludème” similaire entre ses jeux : la résolution d’énigmes. “Un ludème”, explique le doctorant en linguistique Damien Hansen, “c’est l’élément utile le plus minimal d’un jeu vidéo, comme une épice ou un ingrédient en cuisine. Cela peut être un rocher que l’on fait exploser dans Zelda, l’escalier que l’on crée dans Fortnite, ou un bonbon à assembler dans Candy Crush Saga. Un composant trivial, et pourtant indispensable.” L’évolution technologique des consoles et des jeux vidéo a considérablement influé sur la manière de résoudre les énigmes. Toutefois, des éléments clés reviennent systématiquement. Nous pouvons citer les blocs à pousser, comme nous pouvons le voir sur les images ci-dessous, un dispositif assez classique dans les jeux d’aventure mais qui fait toujours son effet. Il est utilisé de façon particulièrement judicieuse dans les donjons Zelda. Ces énigmes permettent, dans la plupart des cas, un accès à une nouvelle zone.
Link dispose, en outre, de nombreux objets qu’il obtient au fur et à mesure de la progression dans sa quête. L’utilisation de l’arsenal du héros aux oreilles pointues est un marqueur fort de la série puisque certains seront disponibles dans tous les opus : bombes, boomerangs, épées ou même des instruments de musique. Ces derniers permettent d’avancer dans le jeu en créant des événements, comme des brises de vents pour se déplacer plus rapidement ou déverrouiller une porte grâce à des notes jouées par ledit instrument.
L’évolution technique a permis l’apparition de la 3D dans les jeux vidéo, ce qui a amené son lot de nouveautés. Le passage 2D/3D a été marqué par Ocarina of Time, sorti en 1998 sur la Nintendo 64. Ce dernier a ouvert de nouvelles possibilités de jeu notamment avec la visée, un nouvel axe de déplacement, et l’utilisation d’objets supplémentaires, ou encore un royaume d’Hyrule plus vaste. Le jeu adopte le principe de hub central, avec la plaine d’Hyrule qui relie les différentes zones « niveaux » que Link visite durant son épopée. Le joueur a donc la possibilité d’affronter des boss et donjons encore plus redoutables faisant appel à son habileté et sa réflexion avec des fonctionnalités apportés par la 3D. La sensation de liberté est aussi exacerbée avec cette évolution du média. Les concepteurs ont utilisé savamment la différence entre la carte du monde et les donjons déjà présente dans les Zelda 2D, tout en incorporant les avantages de la 3D pour renouveler l’exploration de l’univers du jeu et exploiter des énigmes et combats de boss plus élaborés.
Nous pouvons citer le boss Gohma du premier donjon d’Ocarina of Time. Celui-ci reste dans les hauteurs de la salle forçant le joueur à lever la tête et à utiliser la visée nouvellement présente sur la première console 3D de Nintendo. Aussi, il possède un point faible : son œil, principe instauré dans de nombreux jeux précédents de la série et qui est utilisé ici dans le donjon tutoriel afin de créer un repère pour le joueur et lui apprendre à user de la nouvelle dimension. Il faut le viser afin que le boss tombe sur le sol, puis se précipiter vers lui pour ensuite l’assaillir de coups avec son épée. Après ce premier donjon, Link part traverser la plaine d’Hyrule, une longue étendue qui rappelle la carte du monde de Zelda NES et sert de point de point de convergence avec les différents jeux de la saga.
Breath of the Wild, le dernier Zelda tant acclamé par la critique, prend la forme d’un open world moderne. Le joueur est complètement plongé au cœur d’Hyrule. L’exploration domine. Les équipements sont multiples et les commandes aussi, tous les boutons d’une manette classique de console sont maintenant utilisés. Nous pouvons nous battre, lancer des bombes, utiliser la téléportation, ramasser des fruits, nager, voler, même cuisiner. Toutes ces actions rendent le jeu plus vivant. Grâce à la 3D et aux évolutions techniques des consoles, l’utilisation de la caméra et des différentes touches rendent le jeu plus complexe au niveau des commandes et des appuis, mais ouvrent de nouvelles possibilités pour les joueurs. L’implication dans le jeu est renforcée par ces actions diversifiées. Pour la première fois dans l’histoire de la licence, apparaissent des éléments de gameplay émergent : pour battre ses ennemis, on peut sortir l’épée et le bouclier, mais aussi effrayer les abeilles en enflammant une ruche avec une flèche de feu…
Ainsi, au cours de ces opus, la série a su se développer en proposant des mondes de plus en plus riches. Dans le premier Zelda, on ne distingue que très peu la différence entre l’extérieur et l’intérieur d’un donjon. Avec Ocarina of Time, nous sommes plongés dans un monde où l’intérieur est plus marqué. A contrario, Breath of the Wild respecte sa promesse d’aventure en nous proposant un monde principalement axé sur l’extérieur. Les seuls moments d’intérieurs sont les sanctuaires. Chacun de ces moments possède un feeling rythmique particulier qui se voit dans l’usage des touches sur la manette. La variation entre les mondes prend corps à travers les gestes du joueur. Nous ressentons le monde différemment sur le plan kinesthésique et pas seulement au niveau de la perception visuelle.
Si l’arrivée d’un nouveau jeu The Legend of Zelda génère autant de ferveur, c’est que l’équipe de production chez Nintendo a clairement identifié ce qui faisait le cœur d’un jeu d’action/aventure. Trouver la clé pour innover sans perdre l’essence de la série est capital pour que la formule fonctionne à chaque génération. Nous pouvons penser à Ocarina of Time pour la 3D, Skyward Sword pour le motion gaming, Breath of the Wild pour le monde ouvert : les titres marquants ont su s’emparer des grandes nouveautés de l’époque pour les intégrer à la série. L’essence d’un jeu d’action se retrouve dans les résultats des rythmanalyses, tout comme les innovations qui procèdent de leur modernisation. Les ingrédients instaurés dans le premier volet sur NES se retrouvent par les mécaniques de gameplay et les actions que l’on effectue dans chaque opus, mais elles s’enrichissent des progrès technologiques et des autres jeux d’actions marquants de la période Tears of the Kingdom, la suite annoncée de Breath of the Wild, ne devrait pas déroger à la règle : comme Majora’s Mask la propre suite d’Ocarina of Time en son temps, le titre réussira peut-être à sublimer la prouesse de 2017 et poursuivre la longue lignée de succès de la série.