Auteurs : Hugo Baldran, Sébastien Magnon, Yvan Monsarrat, Emilien Tugler
Don’t Look Up, film produit par Netflix en 2021, est devenu un phénomène de société : le film imagine la réaction de la société américaine face à la menace imminente d’une comète géante. Le film reprend les codes du film catastrophe et de la SF, mais en les faisant fonctionner sur le mode de la satire.
L’histoire suit les tentatives désespérées de deux scientifiques, Kate Dibiaski (Jennifer Lawrence) et Dr. Randall (Leonardo Di Caprio) qui ont découvert cette comète qui menace de détruire la terre. Ils se lancent dans une mission pour avertir l’humanité afin de sauver la planète. Mais ils se heurtent à l’inertie, aux résistances ou au cynisme… dans un scénario qui ne peut que rappeler la situation du réchauffement climatique. Don’t Look Up est devenu un mème écologiste pour signaler l’inaction face à la menace. Avec Don’t Look Up, la science-fiction peut-elle se lancer en politique ? Quelle est l’efficacité de la satire pour nourrir la mobilisation ?
Tout l’enjeu du film consiste à imaginer les réactions des scientifiques face à un scénario catastrophe. Vont-ils réussir à prendre la main et protéger l’humanité d’une destruction quasi certaine ?
En première lecture, nous avons une opposition nette entre le monde de la science et celui de la politique : la première est valorisée, là où la seconde apparaît comme le triomphe du cynisme et de la corruption. La confrontation de ces deux univers se confirme dans les graphes, avec de forts liens entre les trois personnages principaux, tous scientifiques, et les personnages politiques qui les entourent. Ce trio scientifique principal développe chacun une forme de lien avec les acteurs politiques de cette fiction catastrophique. Le graphe illustre parfaitement les différentes voies choisies par les trois scientifiques afin de faire face à la menace de la comète, puisque le Dr. Randall et le Dr. Oglethorpe ont des liens beaucoup plus forts avec les personnages politiques par rapport à Kate qui fait le choix de s’éloigner des sphères du pouvoir pour faire appel directement au peuple.
La science est représentée comme la voie de la raison, qui permet d’avancer des faits grâce à des chiffres et qui ne peuvent être contredits qu’à l’aide d’autres chiffres. Dans l’une des premières scènes du film, les deux scientifiques Kate et le Dr. Randall qui ont découvert la menace de la comète sont invités à la maison blanche. Ils font l’erreur d’annoncer un chiffre de 99.78 % pour le risque, ce à quoi le conseiller de la présidente leur répond que “génial donc c’est pas 100 %”. Le film insiste en outre sur l’importance des articles en peer-reviewed pour distinguer la véritable science de la charlatanerie.
Est-il imaginable qu’une décision politique puisse aller à l’encontre de données scientifiques, de ne pas tenir rigueur de certaines découvertes majeures ? Tout le propos du film est que la science est forcée de quitter sa tour d’ivoire. La science ne peut pas seulement être une sorte de « passe-temps » pour quelques passionnés dans leur coin. Les scientifiques sont contraints d’agir, dans la mesure où la politique refuse de se confronter aux faits. Le film pose ainsi des questions cruciales sur la place de la science par rapport à la politique. La science doit-elle être au pouvoir et prendre des décisions qui seront rationnelles ? Comment les scientifiques peuvent-ils entrer dans l’arène politique ?
La première voie représentée est celle de la révolte populaire. Elle correspond à l’option choisie par le personnage de Kate Dibiaksy, une jeune doctorante en astronomie à l’origine de la découverte de la comète menaçant la Terre. Kate représente parfaitement une jeunesse rebelle, anticonformiste et révoltée. Face au manque d’engagements des grands décisionnaires, Kate et le docteur Randall décident de prendre les choses en main en faisant fuiter l’information dans les médias pour alerter la population. Mais contrairement au docteur Randall qui s’acclimate bien au monde des médias, Kate se fait décrédibiliser, devenant même une paria, moquée et harcelée sur les réseaux sociaux.
Alors qu’elle a abandonné et pris un travail dans un supermarché, Kate voit la comète apparaître dans le ciel à l’œil nu. Dès lors, elle décide de reprendre son combat en utilisant tout d’abord les réseaux sociaux. Elle crée ensuite le mouvement Look Up afin que la population prenne au sérieux la menace de la comète et que les gouvernements du monde entier agissent. Avec ce mouvement, elle mène de nombreuses actions dont notamment un concert avec Riley Bina, des manifestations, des tags dans les rues, etc.
Le parallèle est évident avec la réalité et le réchauffement climatique. Kate Dibiaksy peut être considérée comme la représentation fictive de Greta Thunberg qui inspire la jeunesse du monde entier sur la cause climatique. Les formes d’action rappellent les festivals pour l’écologie comme We Love Green, les marches pour le climat ainsi que les actions d’Extinction Rebellion tels que les blocages de routes ou des attaques à la peinture.
Kate représente une science intègre qui refuse de composer avec le cynisme du pouvoir et mise sur la mobilisation populaire. Cependant cette voie montre ses limites car elle ne permet pas vraiment de changements. Dans le monde de Don’t Look Up le pouvoir n’est plus au peuple mais aux gouvernements à la botte des milliardaires.
Le Dr. Randall est le personnage principal du film. A la différence de Kate, il tente d’amadouer les médias pour toucher le grand public. Ces derniers jouent un rôle très important tout au long du film, à qui ils offrent sa scène d’anthologie avec un talk show où les animateurs se moquent de l’alerte des scientifiques. Le Dr. Randall et Kate tentent d’annoncer un événement d’une extrême gravité, mais les journalistes préfèrent parler de la relation amoureuse des deux stars du moment, comme on le voit sur l’image.
Un bon média se doit d’être le plus neutre et transparent possible afin de ne pas détourner son public de la réalité des choses. Ce n’est absolument pas le cas dans le film. Ce passage de l’annonce de la catastrophe au début du film lors du journal télévisé sert à critiquer l’avidité et le cynisme des médias. L’utilité des messages qu’ils véhiculent leur importe peu, du moment qu’un “buzz” est créé, qui par conséquent leur apporte une plus grande visibilité. Il est alors plus important pour eux de rassurer leur public en le réconfortant plutôt qu’en l’informant.
Le Dr. Randall parvient cependant à se créer une véritable personnalité médiatique, et à devenir une célébrité de plateau télé, à la différence de Kate. Le message ne passe qu’à la condition d’être formaté pour le divertissement et de perdre son impact. Mais cette célébrité lui monte à la tête et ravage sa vie personnelle, sans véritable bénéfice politique à la clé. La mobilisation médiatique échoue tout autant que la mobilisation populaire.
Cependant, on pourrait se demander ce qu’il en aurait été si les médias avaient été bien utilisés. Lorsque les médias remettent en question une affaire politique, il est généralement difficile pour les politiciens de les ignorer totalement, par peur de provoquer la colère et le doute de l’opinion publique. Cela aurait-il suffi aux scientifiques afin de mener à bien leur mouvement de contestation et ainsi gagner leur combat contre la politique ? Le rôle des médias est plutôt vu comme une sorte d’outil à double tranchant, pouvant avantager ou désavantager les héros selon leur utilisation.
Kate et Randall ne sont pas les seules options. Une troisième voie “diplomatique” ou “administrative” est portée par le personnage du Dr. Teddy Oglethorpe (Rob Morgan) qui est le directeur du Bureau de coordination de la défense planétaire. Ici, il s’agit d’une nouvelle forme d’alliance, entre science et politique, de “l’intérieur” des agences gouvernementales. Or, lui aussi, échoue : son pouvoir est limité et il ne parvient pas plus à se faire entendre. Il se fait séquestrer au même titre que Kate et Randall à qui il apporte son soutien mais cela n’a pas réellement d’impact. Il représente un autre modèle d’alliance entre science et politique sous la forme de l’expert des agences gouvernementales, mandatés par le politique pour les conseiller. Mais pas plus que Kate ou Randall, Oglethorpe n’est écouté. Toutes les formes de politisation de la science échouent dans le film.
Don’t Look Up place ainsi au centre de son histoire des personnages de scientifiques, confrontés à un univers politique et médiatique hostile. Certains choisissent de s’y opposer frontalement, d’autres cherchent des alliances. Mais en vain.
Mais l’opposant principal représente lui-même une figure scientifique, avec une forte coloration religieuse, sous la figure du multimilliardaire Peter Isherwel, parodie de Jeff Bezos ou Elon Musk. Ce dernier porte en quelque sorte la science avec sa société Bash, spécialisée dans l’analyse de données. il se retrouve dans la position de celui qui sait tout et contrôle tout, notamment la politique, notamment grâce à ses algorithmes puissants. Il agit comme un personnage inspiré, messianique, comme le voit sur l’image… quand il ne finit pas par se prendre pour Dieu, dans la scène où il prédit à Randall la manière dont il va mourir. Isherwel fait annuler le plan qui aurait pu marcher afin de mettre en œuvre son plan pour s’enrichir qui représente le technosolutionisme à son extrême. Il incarne une figure de la science corrompue : il a suffisamment de moyens pour se payer des prix nobels, mais leur production scientifique au service des intérêts de Bash ne passe pas par le processus de la validation par les pairs.
L’originalité de Don’t Look Up est de démultiplier les formes d’alliance entre science et politique. Cyniquement, le seul qui fonctionne – sous l’égide d’Isherwel – conduit l’humanité à sa perte. On peut se demander quelle est l’efficacité politique du film… puisque tout échoue, au final. La satire, efficace pour dénoncer, détruit tout horizon politique alternatif. Un des biais du film est notamment son americano-centrisme : la Russie, l’Inde et la Chine s’allient afin de dévier l’astéroïde, mais la présidente Orlean et Bash détruisent la base de lancement russe de Baïkonour. Le reste du monde est effacé autant que les formes de mobilisation politique positives pour lutter contre le réchauffement climatique. Une campagne populaire soutient, par exemple, une candidature opposée à celle de la présidente Orelan, mais le personnage de l’opposante n’apparaît même pas et les politiques alternatives demeurent hors-champ.